Retraites. Gestionnaire du régime civil de la retraite dans la fonction publique, la Caisse marocaine des retraites connaîtra son premier déficit en 2014. Pire, ses réserves devront disparaître complètement dès 2021.
Plus vieille caisse de retraite du pays, la Caisse marocaine des retraites (CMR) est désormais confrontée à l’un des plus gros problèmes de son histoire : la faillite du régime civil qu’elle gère pour le compte de l’Etat. Couvrant tous les fonctionnaires du secteur public, en plus du personnel des collectivités locales, le régime va enregistrer son premier déficit dès l’année prochaine. Montant : 200 millions de dirhams. « Ce n’est pas beaucoup, mais ce montant ira en se augmentant d’année en année pour atteindre 125 milliards de dirhams en 2021 », calcule le directeur de la caisse, Mohamed El Alaoui El Abdellaoui. Le chiffre avancé est effrayant : 125 milliards de dirhams, c’est plus du tiers du budget de l’Etat, et plus de 15% de l’ensemble des richesses créées par le pays. « La situation du régime est telle que si on décide de le fermer aujourd’hui, il devra rembourser une dette globale estimée à plus de 620 milliards de dirhams. C’est l’équivalent de tous les engagements pris par le régime de 2013 à 2060 », précise le patron de la CMR. Quand on sait que toute la dette publique ne dépasse pas les 600 milliards…
Un système à revoir
Comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple : les retraités affiliés au régime civil sont beaucoup plus nombreux que les fonctionnaires en activité et vivent plus longtemps. Des données qui chamboulent tout l’équilibre de ce régime fondé sur le modèle de répartition. Une philosophie très française qui veut que les retraités d’aujourd’hui soient payés par les actifs d’aujourd’hui. « Ce système ne tient plus. Il faudra le repenser dans sa globalité. Mais ça, c’est le rôle des pouvoirs publics », explique Mohamed El Alaoui, qui préconise de se diriger rapidement vers une réforme systémique de l’ensemble des régimes de retraite, comme proposé par la commission technique de réforme des retraites et tout récemment par la Cour des comptes. Mais en attendant, il faudra bien commencer par quelque chose. « On peut jouer sur des paramètres qui nous permettront de tenir encore dix ans, le temps de mettre en place la réforme systémique des retraites », évalue le directeur de la CMR. Des retouches qui sont fin prêtes et qui n’attendent que le feu vert du gouvernement pour être mises en place. « Nous avons proposé à notre conseil d’administration les solutions pour repousser le déficit du régime. C’est aux politiques aujourd’hui de prendre la décision », confie le patron de la caisse. Les paramètres à ajuster, tout le monde les connaît : augmenter l’âge de départ à la retraite, réduire la prestation et augmenter les cotisations. Une pilule qui sera dure à avaler…
Des milliards en fumée
En attendant que gouvernement et syndicats se décident, qui paiera les pots cassés ? La réponse est encore une fois simple : tout le monde. A commencer par la CMR elle-même. Disposant d’une réserve de 80 milliards de dirhams, la caisse sera la première à mettre la main à la poche pour couvrir le déficit du régime civil. Mais pas pour longtemps. « Nos réserves ne pourront couvrir les trous du régime que sur les huit premières années. Après cela, ce sera un saut vers l’inconnu. Car rien dans la loi ne dit que l’Etat est obligé de couvrir les déficits du régime civil », précise Mohamed El Alaoui. Après l’épuisement des réserves, ce seront donc les retraités et affiliés du régime qui assumeront ces méga déficits, du moins en principe. Et c’est la Cour des comptes qui le dit : « Si le statu quo se maintient jusqu’en 2018, le taux de cotisation devra être brutalement porté à 73% », selon le rapport réalisé en juillet dernier par les services de Driss Jettou, un grand connaisseur du dossier. Cela veut dire que les fonctionnaires de l’Etat travailleront tout le mois, pour ne toucher finalement que le tiers de leur salaire. Une situation juste impossible, mais la loi ne prévoit pas autre chose.
Un message à peine voilé aux syndicats, qui s’accrochent mordicus à la « protection des droits acquis », oubliant que ces droits pourront tout simplement disparaître quand les réserves de la caisse seront à sec. « Dire que les avantages offerts actuellement par le régime sont un droit acquis ne veut absolument rien dire. C’est comme si un patron d’entreprise refusait de payer l’IS d’aujourd’hui, sous prétexte qu’à la date de création de son entreprise le taux de l’IS était beaucoup plus bas », assène Mohamed El Alaoui. Conclusion : les premiers qui doivent exiger la réforme du régime civil de la CMR, ce sont les syndicats.
Un institutionnel de moins
Les difficultés du régime civil de la CMR dépassent aussi le spectre restreint de ses affiliés et pensionnés. C’est toute l’économie du pays qui va en payer le prix fort. D’abord à travers le budget de l’Etat, qui devra coûte que coûte assurer les déficits de la caisse, comme il le fait aujourd’hui avec le régime militaire, financé à coups de milliards depuis son passage dans le rouge en 2008. Ensuite, à travers les capacités de financement du pays. Avec des réserves cumulées de plus de 80 milliards de dirhams, la CMR figure aujourd’hui parmi les plus grands investisseurs institutionnels nationaux. Une grosse manne qui est placée en bons du Trésor, en obligations privées, en actions ou dans des fonds dédiés. « La CMR, comme les autres caisses de retraite, fait partie des rares investisseurs qui acceptent de financer des projets d’infrastructures sur le long terme. Avec ce spectre du déficit qui plane, on ne pourra plus mettre nos fonds dans ce type d’instruments, et l’Etat comme d’autres acteurs économiques seront privés d’une source importante de financement », souligne Mohamed El Alaoui. L’investisseur CMR ne sera donc plus le zinzin que l’on connaît. Il a même déjà commencé à
changer de profil, privilégiant désormais des placements à court et moyen termes. « Vu que nos réserves seront mobilisées à partir de l’année prochaine pour couvrir le déficit du régime civil, on ne peut plus s’engager dans des financements longs. La duration actuelle de notre portefeuille varie entre cinq et dix ans au grand maximum », explique notre homme. Ou comment une simple caisse de retraite peut vous gripper toute une machine économique.
Prestation. Pauvre mais généreux Le régime des pensions civiles géré par la CMR est l’un des régimes les plus généreux du monde. Pour un taux de cotisation de 20% (part patronale comprise), il peut vous servir 100% de votre salaire en seulement 31 années de travail. « Pour po uvoir toucher une telle pension en France, il faut travailler au moins 44 ans », souligne le directeur de la CMR, Mohamed El Alaoui El Abdellaoui. Mais ce n’est pas tout. Quand on calcule votre pension à la CMR, on le fait sur la base du dernier salaire perçu. Un privilège que n’ont pas les salariés du secteur privé, dont les pensions à la CNSS sont calculées sur la base du salaire des huit dernières années. Ou même nos voisins espagnols, qui voient depuis quelques années leurs pensions calculées sur la rémunération des 25 dernières années. « Tout cela doit changer bien sûr. Le régime ne peut plus offrir ce genre de prestation. Les retraités ne vont pas toucher moins. Ils touchent déjà deux fois plus. On ne cherche pas à baisser notre prestation, on cherche surtout le juste prix », tranche le patron de la caisse. |
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