Décalages. De l’universel... au national

Par Souleïman Bencheikh

Il n’aura échappé à personne que Nelson Mandela, premier président noir de l’histoire de l’Afrique du Sud, s’est éteint le 5 décembre. Rarement hommage à un défunt aura été aussi unanime. Les manifestations d’émotion ont fusé des quatre coins de la planète, à l’unisson de la nation arc-en-ciel, désormais orpheline de Mandela. Son histoire transcende le temps et l’espace. Son destin emblématique entièrement consacré à la lutte anti-apartheid et à l’édification d’une nouvelle nation est un message d’espoir, une leçon de courage et de persévérance pour tous les peuples que des dirigeants autoritaires tiennent enchaînés. Mais il n’est pas seulement l’homme de la lutte victorieuse pour la liberté d’un peuple. C’est aussi celui de la transition pacifique, celui enfin de la réconciliation et du pardon.

 

Pour toutes ces raisons, l’hommage rendu à Mandela ne pouvait qu’être mondial, presque universel. Une centaine de chefs d’Etat et de gouvernement se sont retrouvés à Soweto pour joindre leur voix à celles de dizaines de milliers de Sud-Africains réunis en mémoire de Mandela. Pour la plupart des grands de ce monde, c’était une tribune inespérée, l’occasion idéale de briller sur la scène internationale. Et encore une fois, le président américain a su tirer la couverture à lui. « Il est difficile de faire l’éloge d’un homme… encore plus difficile de faire celui d’un géant de l’Histoire, qui a conduit une nation vers la justice », a déclaré un Barack Obama acclamé par la foule. Répétant son admiration pour celui « qui a montré le pouvoir de l’action », il a dénoncé une certaine hypocrisie dans les louanges qui se sont élevées du monde entier depuis l’annonce de sa disparition. « Il y a trop de dirigeants qui se disent solidaires du combat de Mandela pour la liberté, mais ne tolèrent pas l’opposition de leur propre peuple », a-t-il tonné devant un parterre conquis.

Pour autant, tous les chefs d’Etat n’ont pas fait le déplacement en Afrique du Sud. Israël, comme à son habitude, a boudé l’événement et a paru isolé. Mohammed VI était également absent mais pour de tout autres raisons,  paraît-il liées à la superstition des souverains alaouites qui ne se rendent jamais à des obsèques et se contentent d’envoyer des représentants. Mais si le Maroc a été si discret dans le concert de louanges auquel a donné lieu la mort de Mandela, ce n’est pas tant parce que notre roi n’a pas fait le déplacement. Non, ce qui frappe dans la plupart des réactions d’officiels marocains, et même dans une bonne partie de nos médias, c’est le traitement maroco-marocain d’une information de dimension
internationale.

Peu de place a été accordé à l’universalité du combat qu’a incarné Mandela. A l’occasion d’une des rares manifestations où le monde entier peut vibrer pour les mêmes valeurs, nous avons au contraire préféré nous regarder le nombril : parler de l’aide que nous avons fournie à l’ANC, des bonnes relations de Mandela avec le Maroc, de la trahison supposée lorsque l’Afrique du Sud a officiellement reconnu la RASD, etc.

Je l’avoue, sa mort, même attendue et lointaine, m’a ému. Je l’avoue aussi, ne retrouver aucune once de cette émotion, dans les réactions de nos officiels, m’a déçu. Je comprends alors combien le nationalisme étriqué a anesthésié toute forme d’humanisme. Nous nous sommes enfermés dans le cadre minuscule de notre cause nationale et sommes devenus incapables de penser l’universel. En attendant, un grand homme est retourné à la terre. Ceci est un hommage.