Vers 682, le conquérant arabe Oqba ibn Nafi‘ accomplit une vaste reconnaissance, la première, dans ce far-west, ce Maghrib Al Aqsa qui, bien plus tard, se nommera le Maroc. Après avoir longé Tanger, il descendit à Volubilis, traversa l’Atlas jusqu’à la vallée du Draâ, passa ensuite dans le Souss Al Aqsa, prit Aghmat, et convertit les tribus Jazoula, Haskoura et Masmouda en remontant vers les plaines atlantiques. Le chroniqueur médiéval Ibn Al Athir raconte que, cela achevé, il s’avança à cheval dans les flots et prit à témoin le ciel : « Ô Seigneur, je jure que sans cet océan, je serai allé de l’avant combattant dans ta voie. »
Les brumes de l’Atlantique arrêtèrent donc les Arabes. Ils revinrent vers leur Méditerranée, conquirent l’Espagne et la Sicile, et s’occupèrent de vieilles histoires (Constantinople, les Croisades, la route de la soie…). Mais pas les Marocains. Eux, jamais l’Atlantique ne les arrêta. Pas plus que le Pacifique n’arrêta l’esprit pionnier des Américains. Les Californiens poursuivirent la conquête de l’ouest avec du LSD. Nous, on continua le Fath islamique en roulant des joints. Fath spirituel, après le Fath historique.
Ce n’est donc que justice, si un parti marocain s’avise de porter sur la scène publique la question du cannabis, sa production, sa commercialisation, sa consommation. Il est pour le moins ironique que l’un des premiers producteurs et exportateurs mondiaux pénalise sur son propre territoire ce qui est depuis longtemps légal dans nombre de pays.
Surtout que ce grand pas en avant, s’il se réalise, ne serait qu’une récupération. Après tout, la régie du kif et du tabac eut jadis une plus vaste juridiction. Ce n’est que par étapes que le haschisch, puis le kif, quittèrent la légalité pour sombrer dans les méandres de l’économie parallèle. Un décret de 1954, puis les suites des troubles dans le nord du Maroc en 1958, contribuèrent à cette pénalisation, qui développa une économie parallèle et ses réseaux mafieux. Que l’initiative vienne du PAM, un parti aux solides assises nordistes, qu’il ait déjà mis le sujet sur la table, en 2009, que ses raisons soient électoralistes, ne doivent pas arrêter la société civile marocaine. Car dans un système pénal qui continue de punir les moindres peccadilles (comme s’embrasser en public…), réviser cette loi, l’abolir peut-être, n’est que l’annonce d’une remise à plat d’une culture juridique difforme et régressive par rapport à la culture populaire.
C’est là le point crucial. Que le cannabis soit légal, toléré ou farouchement pénalisé n’est après tout qu’un indice : le législateur marocain a besoin de réconcilier les mœurs du pays avec un Code pénal qui reste abstrait, lointain et autoritaire. Et le rôle que jouent ces petites illégalités (le cannabis, l’alcool, le sexe…) n’est plus à prouver : politiquement, elles permettent de maintenir les Marocains dans un environnement d’arbitraire permanent. De telles lois furent élaborées parallèlement à la mise en place d’un régime autoritaire, dans les années 1960. Les réviser, c’est moins aller de l’avant qu’éponger un lourd passif politique.
Maroc, pays du bis repetita, du hoquet historique, qui sans cesse défait pour refaire, patiemment comme Pénélope chaque matin retissant la toile dénouée la veille. Ainsi, à qui annoncera la nouvelle à la vieille génération, fier de tant de volontarisme transgressif, les vieux fumeurs, en rembourrant leur sebsi, penseront aux années précédant l’interdiction et diront : Yes, we cannabis.