Au glorieux édifice de l’art arabe de la guerre, quelques députés marocains apportent leur pierre. En menaçant de prison ferme les Marocains visitant Israël, sans doute qu’ils infligent un camouflet sans précédent à l’Etat hébreu. De ces projets de loi imbéciles, on peut penser plusieurs choses. Qu’une séance à main levée ruine en un instant des décennies de politique étrangère. Que le courage par procuration est plus avantageux qu’une vraie politique sociale.
On peut aussi méditer les paradoxes de la démocratisation. On a assez critiqué la diplomatie parallèle et secrète sous Hassan II. Le parlement, au nom de la souveraineté populaire, empiète désormais sur une chasse gardée. Est-ce un progrès ? Sans doute, s’il s’accompagne de courage. Celui de la transparence : le Maroc a une identité composite, une population diverse ; le Maroc a des amis, il a des ennemis ; cette reconnaissance est le premier pas vers un débat public ouvert et sans populisme vain.
Or, nos élus ne s’y prendraient pas autrement s’ils voulaient nous faire regretter le paternalisme qui veut que la diplomatie soit affaire trop sérieuse pour le peuple. Au nom de quoi se défendent ces textes liberticides ? De la dignité des Marocains, nous dit-on, de leur honneur. Piètre estime de soi, qui place sa dignité dans les prisons, et vaillant honneur, qui combat l’ennemi extérieur en tapant sur de fictifs ennemis intérieurs.
La politique extérieure du Maroc a rarement été du ressort des élus, et encore moins au gré des humeurs populaires. Rabat a été pro-occidental quand tous juraient par le modèle soviétique, pour des négociations israélo-arabes quand on n’en avait que pour la guerre et la destruction d’Israël. Un demi-siècle plus tard, les régimes prosoviétiques sont tombés en laissant des peuples affamés, et les Palestiniens, les premiers, dialoguent avec Israël.
Notre démocratie en transition veut rembobiner l’histoire. Puisqu’il est désormais permis de légiférer sur les relations étrangères, votons des lois d’emprisonnement, de dégradation civique. Votons des lois comme on fait des émeutes. Dans l’emportement et l’oubli. Puisqu’on est en démocratie, hurlons avec les loups. Ça ne coûte rien et ça peut rapporter quelques voix.
Qu’on ne s’y trompe pas : la question israélienne n’est qu’une mise à l’épreuve. D’autres domaines, plus importants encore, sont en friche pour la jeune démocratie. Or, quelle confiance accorder à ceux qui saccagent sans mesure la diplomatie du pays lorsqu’il leur faudra, demain, légiférer à propos des affaires islamiques, de la sécurité intérieure ou des libertés fondamentales ?
Les Egyptiens, qui donnent des leçons de panarabisme, sont en paix avec Israël depuis trente ans. Cela s’appelle la dictature, qui sait ménager l’intérêt bien compris, côté face, et l’honneur de la rue, côté pile. Le Maroc, le premier pays arabe, peut s’engager, comme la Turquie, dans cette ultime gageure : ménager la dignité de son peuple – sa liberté politique – et le réalisme politique et historique. Mais pour cela, il faut moins de lois, et un peu plus de raison.
Les Marocains, qui ont besoin de visas pour visiter la moitié du monde, risqueront désormais la prison en visitant l’autre moitié – car, je ne vois pas pourquoi la Corée du Nord ou Cuba ne suivraient pas ? Grande politique : au pays qui nous déplaît, on infligera l’indigne châtiment de le priver de touristes marocains.