Hip Hop Family, une association qui œuvre pour la culture urbaine, a organisé un concert au centre culturel la Renaissance, à Rabat. Rencontre avec des passionnés du genre musical qui ont peu de moyens mais de grandes ambitions.
“Un deux, un deux. Test micro”. Des types baraqués, jogging, baskets, casquettes vissées sur la tête ont investi la scène du centre culturel la Renaissance, à Rabat. Ce samedi, les gars de Hip Hop Family (HHF), une association qui milite pour le développement humain à travers la culture urbaine (rap, break dance et graff), organisent un concert. Un évènement censé réunir deux gros calibres du rap, Mobydick et Freeman, membre du mythique groupe français IAM. C’est du moins ce qui était prévu, jusqu’à ce que Hicham Kabbaj, directeur des lieux, annonce la couleur : “Il y a eu un léger couac. Les deux rappeurs ne viendront pas, mais les organisateurs ont trouvé une solution pour arranger ça”. Les aléas du spectacle… “Dans l’évènementiel, il y a toujours des embrouilles de dernière minute. Soit tu deales avec ça, soit tu fais autre chose”, lâche Moussa Laârif, président de Hip Hop Family. En l’occurrence, la fameuse “embrouille” a l’air assez préoccupante mais pas pour le jeune homme, semble-t-il. “Il y a eu une sorte de quiproquo entre Freeman et Mobydick, une petite bataille d’ego. Mais c’est cool, Muslim a accepté de venir se produire ici alors qu’on l’a prévenu il y a seulement trois jours. Finalement, c’est peut-être mieux, Muslim est très populaire et le public de Rabat a rarement l’occasion de le voir sur scène”, relativise Moussa. Ami et proche de l’association, le rappeur originaire de Tanger a accepté de se pointer au débotté et sans demander de cachet. Le millier d’affiches et les spots radio, diffusés sur Hit Radio, ont quant à eux été modifiés à la hâte, quelques heures avant le concert.
“La rage artistique”
Créée en 2011, Hip Hop Family a déjà organisé plusieurs concerts et festivals : “Voilà pourquoi je suis endetté”, affirme Moussa. Du haut de ses vingt-cinq ans, celui qui se présente comme gérant de société finance de sa propre poche les dépenses liées aux évènements organisés par le collectif. Qu’importe, le jeune homme est un passionné. Rappeur amateur lorsqu’il était plus jeune, il a vite laissé tomber le mic pour se lancer dans l’évènementiel. “Ce qui me plaît, c’est œuvrer pour faire entendre la voix du peuple, la rage artistique”, déclare-t-il. En plus d’avoir la rage, Moussa est doté d’un sacré culot. “Je suis officiellement en guerre avec la mairie de Rabat. En 2011, je me suis présenté aux législatives, sous l’étiquette du parti de l’environnement et du développement durable. J’en ai profité pour demander des comptes aux élus”. Pendant ce temps-là, les autres membres du collectif s’activent pour tout mettre en place. Sur scène, DJ Achraf mixe quelques sons, histoire de vérifier les balances avec les ingénieurs son. Etudiant en cinéma le jour et DJ la nuit, Achraf est originaire de Marrakech et âgé de 25 ans. Il mixe depuis de nombreuses années dans les bars de la ville ocre. Après la répétition, il s’assoit dans la salle et commence à triturer son Mac pour faire des réglages de dernière minute. “Les gens pensent souvent qu’un DJ touche seulement quelques boutons et lève les bras pour mettre de l’ambiance. C’est en vérité un travail de fou, j’ai mis plus de cinq ans avant de sortir un bon son”. Son truc à lui ? La deep house et l’afro house. “J’essaye aussi d’intégrer des morceaux du patrimoine musical marocain pour créer un son électro passé par le prisme de notre culture. Mais ce soir, ce sera du rap old school”, explique Achraf. Passionné par son art, le jeune homme avoue pourtant être fatigué : “C’est assez usant comme métier et je ne pense pas gagner ma vie grâce à ça. Pour l’instant, c’est assez difficile de percer ici et je ne m’imagine pas animer des soirées privées tout au long de ma carrière. C’est sûr, à trente ans j’arrête”.
Bigg s’en mêle
Du côté de la scène, on rencontre MC Conga, qui fait de grands moulinets avec ses bras pour indiquer aux ingénieurs son que tout est ok. Jogging rouge peau de pêche, montre frappée d’un dollar sur le cadran, Conga est rappeur, compositeur et arrangeur. “Cela fait onze ans que je suis dans le rap, j’ai signé avec Yalla Music et j’ai sorti deux albums. En parallèle, je compose pour plusieurs groupes dont H-Kayne, qui est en train de préparer un nouvel album”, raconte le MC. Il est obligé de diversifier ses sources de revenus car le fait d’être artiste ne permet pas vraiment de rouler sur l’or : “Entre les problèmes liés aux droits d’auteur et la crise perpétuelle du marché de la musique au Maroc, c’est sûr qu’il vaut mieux faire autre chose. Il faut dire aussi que l’Etat ne nous aide pas beaucoup. En général, le rap fait peur aux élites et aux politiques”. Pour lui comme pour Moussa, le rap doit être engagé ou ne pas être du tout, “sinon c’est un paradoxe”, intervient Moussa avant de passer un énième coup de fil. “En fait, il essaye de joindre Muslim, il est en retard pour la répétition”, explique Conga. Réalité de la rue et critique des élus sont autant de sujets que les rappeurs se targuent d’évoquer, “seulement attention, we can’t touch the big one”, confie malicieusement Conga. Loin d’être avare en information, le rappeur balance même quelques potins sur les artistes phares de la scène hip hop marocaine : “Quand Bigg a appris que Muslim allait venir donner un concert à la Renaissance, il est venu voir la salle. En réalité ces deux là sont amis, ils font semblant d’être en conflit pour rameuter les fans. Une vieille combine inventée par Tupac Shakur et Notorious BIG”.
I am Muslim
Le rappeur tant attendu arrive enfin, avec plus d’une heure de retard. Flanqué de son acolyte de la première heure, DJ Duckface, Muslim monte sur scène et balance quelques punchlines. Le temps de régler la sonorisation et le MC tangérois file en coulisses. Plus tard, on retrouve Muslim dans sa loge, en train de siroter un noss-noss. Calme et discret, le rappeur incarne parfaitement la force tranquille. “On m’a prévenu assez tard pour le concert mais il n’y a pas de problème, ça m’est arrivé d’être appelé trente minutes avant une représentation. Là c’était vraiment l’urgence”, raconte-t-il. Posé avec ses potes, il parle de sons et de business. “Sincèrement, je ne pense pas qu’on en soit au stade du rap game au Maroc et qu’on puisse s’enrichir avec ça. On est juste au début du mouvement. Pas plus tard qu’hier le rap n’existait presque pas et les gens trouvaient ça vulgaire”, affirme Muslim. Il est 20h30, l’heure pour le show de démarrer. C’est DJ Achraf qui effectue la première partie du spectacle. La salle est loin d’être comble mais le public, majoritairement composé d’hommes, est chaud bouillant. Chacun y va de son petit pas funky. En attendant son tour, côté coulisses, Muslim grignote un sandwich kefta et quelques frites. Mais lorsqu’il monte sur scène, le rappeur quitte sa force tranquille pour revêtir l’habit du performer.
Casting. Hip hop en mode bled L’un des credos de Hip Hop Family est d’aller à la rencontre des amateurs de rap qui vivent en milieu rural. “Il y a énormément de garçons et de filles qui aiment le hip hop mais qui n’ont pas l’occasion de pratiquer une activité en lien avec ça, ni d’assister à des concerts”, explique Soultana, rappeuse et membre de HHF. C’est pourquoi, en 2012, l’association a organisé la Hip Hop Family Academy, un casting itinérant à travers Khemisset, Tanger, Oujda, Guelmim et Rabat, afin de dénicher de nouveaux talents. Sponsorisé par Hit Radio ou encore l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique, le casting national a offert à douze candidats présélectionnés une formation professionnelle de six jours. “Ils ont été formés à l’écriture ou encore la danse, et ils ont même appris à monter un évènement grâce à un expert en évènementiel que l’Ambassade américaine avait dépêché”, explique Moussa Laârif, président de l’association. Au final, les trois lauréats, un rappeur, un danseur et un DJ, ont pu se produire sur la scène du festival Méga Hip Hop Family, à Rabat, devant plusieurs milliers de personnes. |