Les rentiers de la politique

Par Fahd Iraqi

Les parlementaires vont reprendre le travail plus tôt que prévu pour une seule et unique raison : le président François Hollande doit leur tenir un discours lors de sa visite officielle. On n’allait tout de même pas demander au président français de repasser aux heures d’ouverture. Cela aurait été impoli. Mais il est choquant de voir les élus de la nation faire des heures sup’ juste pour des raisons de protocole diplomatique. Ils auraient dû prendre d’eux-mêmes l’initiative de convoquer une session extraordinaire, vu la pile de dossiers qu’ils ont à traiter. Le programme législatif, déposé par le gouvernement, contient à lui seul quelque 250 projets de loi à voter. Et à en juger par la productivité des députés, il n’est pas près d’être compulsé dans sa totalité avant la fin de la législature. D’ailleurs, les députés n’ont pu adopter que 77 textes de loi lors des deux dernières sessions parlementaires. Et sans risquer un seul instant le burn-out. Il s’agissait essentiellement de conventions ou de traités internationaux, quand ce n’était pas des amendements tenant en un article unique. Pire, il a fallu sprinter au cours des dernières séances pour gonfler un peu les statistiques parlementaires.

C’est un secret de polichinelle, la plupart de nos élus sont inefficaces. Ce sont des rentiers de la politique. Ils passent peu de temps à bosser, à produire des lois, à contrôler l’exécution des politiques publiques. Ils préfèrent plutôt faire la sieste, jouer sur leurs tablettes. Et même quand ils donnent l’impression de bosser, ils ne font que se chamailler avec les membres du gouvernement et les hauts commis de l’Etat. D’ailleurs, les députés ne sont pas souvent au parlement. L’absentéisme est un fléau que l’on n’arrive pas à éradiquer. Même quand le président Karim Ghellab a décidé de rendre publique la liste des députés absents au début de chaque séance, il s’est avéré que ce n’était qu’un coup de com’. Quelques séances plus tard, les élus ont jugé la feuille d’absence non fiable et la mesure est alors passée à la trappe.

Pourtant nos parlementaires n’ont pas à se plaindre. Ils sont choyés. En termes de salaire, ils sont assujettis à cette nouvelle taxe sur les hauts revenus (dépassant les 30 000 dirhams) qu’ils ont votée eux-mêmes, mais dont ils ne s’acquittent pas encore. En fait, on vient juste de les aviser que le prélèvement à la source de cet impôt prendra effet à partir du mois d’avril alors que la Loi de Finances qui le prévoit est en vigueur depuis le début de l’année. Cela revient à dire que nos parlementaires sont les premiers à ne pas respecter les lois qu’ils votent eux-mêmes. Bonjour le sens des responsabilités… Mais ça, on pouvait le deviner. Sinon, comment justifier l’entêtement des conseillers de la deuxième chambre à vouloir continuer leur mandat jusqu’en 2015, dans un mépris total de la nouvelle Constitution (qui prévoit une nouvelle configuration de cette institution) et donc de l’Etat de droit ?

Des frasques de parlementaires, il y a chez nous de quoi remplir une encyclopédie volumineuse. Coup après coup, nos chers représentants nous démontrent que cette institution ne veut pas se réformer. Qu’elle veut rester médiocre. Mais que peut-on faire alors ? Il s’agit d’élus du peuple dont on ne peut pas se débarrasser. On va devoir se les coltiner au moins jusqu’aux prochaines législatives, en espérant que la prochaine fois, il y aura de meilleurs profils. En attendant, on peut au moins leur mettre de la pression. On peut, par exemple, braquer sur eux en permanence des caméras pour épier tous leurs gestes, les marquer à la culotte, les solliciter fréquemment pour les obliger à suivre leurs dossiers. Bref, on peut essayer de les forcer à rester clean et à s’intéresser à leur job. Cela pourrait passer, par exemple, par la création d’une télé parlementaire que Ghellab nous avait d’ailleurs promise dès qu’il a pris place sur son perchoir. Encore une de ces promesses non tenues…