Pour une raison qui ne vous regarde pas, Zakaria Boualem a dû aller en Espagne cette semaine. Il s’est donc rendu avec confiance au tout nouveau port de Tanger-Med, avec la certitude d’y découvrir une des réalisations les plus brillantes du Maroc moderne. Précisons d’entrée que le Guercifi n’est pas spécialiste des ports, c’est bien connu. Il va pourtant exprimer son sentiment sur cette expérience étrange : si on laissait les seuls spécialistes s’exprimer, on rigolerait trop peu sur cette planète. Le voilà donc au port Tanger-Med avec la Zakariamobile, s’apprêtant à traverser le détroit dans les conditions optimales proposées par cette infrastructure prodigieuse. Première surprise, l’endroit est désert. On a l’impression de se promener dans un film de science-fiction, au moment où la population s’est terrée dans les bunkers avant une attaque extraterrestre. Mais ça ne dérange pas Zakaria Boualem, dont le bien-être est inversement proportionnel au nombre de bipèdes qui l’entourent. Il se dit qu’au moins, ça va aller vite. Il achète donc son billet à vive allure et se lance dans le labyrinthe lunaire avec enthousiasme. Soudain, au beau milieu du vent glacial, une voiture est immobilisée à côté d’un camion portant le logo de la douane. Zakaria Boualem, par réflexe, s’arrête juste derrière. Il n’y a rien écrit nulle part, aucune indication, juste cette voiture plantée là et ce camion. Il descend et demande au conducteur ce qu’il fout là. L’homme lui répond que les douaniers lui ont demandé d’attendre ici, parce qu’ils déjeunent. Il a l’air inquiet. Zakaria Boualem se demande s’il doit attendre lui aussi, il décide que oui et il est inquiet aussi sans savoir pourquoi. Ils sont donc maintenant deux voitures au milieu de rien du tout, qui attendent que les douaniers finissent leur déjeuner et espèrent qu’il ne sera pas suivi par une sieste. Au bout d’un temps indéterminé, un homme vient leur demander de quitter leur véhicule parce qu’ils vont passer le scanner. Zakaria Boualem suppute que c’est un douanier. Pas parce qu’il a un uniforme —le type est en civil—, mais parce qu’il a la bouche pleine. Il faut quitter le véhicule, leur explique-t-il à cause des rayons, sans plus de détail.
Zakaria Boualem quitte donc sa voiture, tout comme le passager de l’autre voiture accompagné de sa femme. Cette dernière est enceinte, son mari a l’air de plus en plus inquiet. Le type demande au douanier si ces rayons sont dangereux pour les femmes enceintes, le douanier lui répond d’éloigner sa femme et commence à passer le scanner. Paniquée, la malheureuse se met alors à courir, toujours au milieu de rien du tout, pour échapper aux rayons dont la portée est mystérieuse, c’est une scène profondément absurde. Dans le mode d’emploi de ce camion scanner, il y a sans doute des distances de sécurité clairement établies, et il devrait être possible de les marquer au sol pour expliquer aux gens où se placer. Mais au port de Tanger-Med, on vous dit juste de vous éloigner un peu et si vous êtes enceinte, il faut vous éloigner un peu plus qu’un peu. Tout est flou, rien n’est clair, vous connaissez ce genre de situations, on en a plein chez nous al hamdoulillah.
La douane est passée, Zakaria Boualem reprend sa route et se met aussitôt à tourner en rond. Rien n’est indiqué, bien entendu. Lorsqu’il découvre enfin le quai qui est le sien, c’est pour apprendre que son bateau est en retard, à cause du mobita. Il se dit qu’il va en profiter pour se restaurer, acheter quelques journaux et faire du shopping en attendant. La seule structure abritant un humain qui lui a été proposée est une vaillante gargote, certes abordable mais faiblement achalandée. On imagine que la suite des équipements pour les passagers est en cours de construction. Il retourne donc dans son véhicule et attend, tel la taupe, son bateau. Je vous passe la suite, sachez juste que notre homme est arrivé à Algésiras six heures après avoir entamé son voyage. Heureusement que Tarik Bnou Ziad n’est pas passé par Tanger-Med, et merci.