Zakaria Boualem veut une carte de chrif ...

Par Réda Allali

A l’attention du directeur du bureau national de délivrance des cartes de chorfa. Monsieur, j’ai l’honneur de solliciter par la présente l’attribution d’une carte de chrif pour moi-même, le susnommé Zakaria Boualem. Laissez-moi me présenter pour commencer. Je suis issu d’une lignée glorieuse de la ville de Guercif. Mes ancêtres ont viré les Français et les Espagnols, j’ai même un arrière grand père qui a viré ses quatre femmes d’un coup, soudain un matin. Un vrai héros celui-là. Mon père a participé à la Marche verte, il était même prêt à libérer le Sahara tout seul si on le lui avait demandé. Les voisins vous diront que c’est parce qu’il avait trouvé l’occasion d’échapper quelques jours à ma mère, femme attentionnée mais légèrement grognon. Il ne faut pas les écouter, vous connaissez les Arabes, au lieu de régler leurs problèmes, ils sont toujours à essayer d’empêcher les autres de régler les leurs. Du coup, tout le monde a le même problème et ils se sentent mieux. Les gens sont bizarres Soubhana Allah. Pour ma part, je suis un locataire modèle, croyez-moi. Je paye tous mes impôts à la source sans jamais solliciter de service gratuit en retour. En fait, je suis même rentable. Je soutiens l’équipe nationale, je vote oui à tous les doustours avec enthousiasme, tout comme mes ancêtres, et même si je ne me déplace pas, c’est parce que je vous fais confiance pour vous en occuper, c’est vous qui savez. J’ajoute qu’il m’arrive régulièrement de partager dans cette même page les informations officielles pleines de tournants démocratiques historiques et je le fais avec joie. Je suis parfaitement arabo-berbéro-andalou avec mes racines africaines et méditerranéennes. Pour le côté hébraïque, je suis prêt à le reconnaître à condition que vous me promettiez que cette lettre ne tombera jamais entre les mains de ma grand-mère, elle ne s’en remettrait pas la pauvre. 

Bref, je suis un bon locataire, et je veux ma carte de chrif. Au début, je pensais que ce truc était une blague, et d’ailleurs ça m’a rappelé l’étoile de shérif dans les westerns en noir et blanc où on parle lentement en regardant l’horizon. Mais je l’ai vu de mes yeux, et j’ai lu la phrase magique en arabe que je traduis comme je peux : “Prière de traiter le porteur de cette carte avec respect, respect et respect”. Oui, l’arabe est très riche pour décrire la notion de respect, c’est un peu un paradoxe quand on regarde bien leurs régimes respectifs. Donc je me permets de solliciter de votre haute bienveillance cette carte, et merci. Car je me suis souvent demandé ce qui empêchait nos autorités de me respecter. Au stade on m’engueule, on me bouscule alors que je paye ma place, à la télé on se fout de ma gueule alors que je paye la redevance, dans la rue la “stafette” me terrorise alors que je n’ai rien à me reprocher… J’arrête la liste juste parce que c’est un magazine, hein, pas une encyclopédie. Maintenant, tout est clair al hamdoullah : on ne me respecte pas parce que je n’ai pas cette carte ! C’est pourquoi je la veux, et merci. Un ami nihiliste me souffle à l’oreille que cette carte est antidémocratique puisqu’elle distingue les citoyens selon leur origine et n’attribue pas les mêmes droits à tout le monde. Ce triste sire a le don pour casser l’ambiance, mais il n’a pas tout à fait tort. La solution est donc simple : qu’on donne cette carte à tout le monde. Ou qu’on rajoute la fameuse phrase sur la carte nationale, voilà. Nous sommes tous des chorfa. Un peu comme ils font dans les passeports des pays civilisés : “L’Etat assurera au porteur de ce passeport assistance et blablablablabla où qu’il soit dans le monde”. Chez nous, notre passeport contient une menace du genre si tu le perds, tu payes 800 dirhams. Voilà, j’espère que je vous aurais convaincu, j’attends ma carte, et merci.

 

PS : si une carte de chrif est impossible ou trop longue à délivrer, je prendrai bien un uniforme de policier en attendant, il semblerait que cela permette à peu près tout, et remerci.