Pétrole. Sur la piste de l’or noir

Recélant en abondance du pétrole et du gaz, le sous-sol marocain est devenu le nouveau Texas des aventuriers de l’or noir. Ils forent à tout va.

“Nous nous réjouissons (…) de t’annoncer, cher peuple, la bonne nouvelle de la découverte de pétrole et de gaz, de bonne qualité et en quantités abondantes, dans la région de Talsint dans les provinces de l’Oriental qui nous sont si chères”. Ce 20 Août 2000, Mohammed VI vient à peine de boucler sa première année de règne. L’annonce faite dans son discours de la “révolution du roi et du peuple” fait l’effet d’une bombe. Dans la rue, sur les terrasses des cafés, dans les administrations, dans les salons bourgeois comme dans les bidonvilles, c’est l’euphorie. Les médias rivaliseront de superlatifs pour décrire ce que sera

Casablanca, la capitale économique du pays, dans quelques années : la “Dubaï du Maghreb” ! Mais le rêve de voir le royaume se transformer en monarchie pétrolière tournera court. Lone Star Energy, compagnie chargée d’exploiter le gisement, est paralysée par un différend entre ses actionnaires texans, marocains et saoudiens. Impliquant des personnalités influentes, proches des cercles de pouvoir, l’affaire, qui ressemble à un mauvais polar juridico-financier, est vite classée et les travaux de forage arrêtés. Depuis, personne ne parle de pétrole, devenu un sujet tabou, ni de Talsint, petite bourgade hier inconnue aux confins de la frontière avec l’Algérie. Mais la chasse à l’or noir n’a jamais cessé pour autant. Bien au contraire…

 

Les “sauvages” débarquent

Depuis l’affaire Talsint, les aventuriers de la prospection pétrolière pullulent. Ils savent que le Maroc, dont le potentiel a été occulté depuis la fin du protectorat (voir encadré), pourrait, compte tenu de sa géologie, regorger de pétrole à condition de piocher là où il faut et, dans la mesure du possible, à moindre coût. Ils sont aujourd’hui une trentaine. Leur mission : renifler, sur une superficie de près de 500 000 km2, grande comme l’Espagne, le moindre signe d’existence de pétrole ou de gaz. Ils s’appellent Kosmos Energy, Transocean, Circle Oil, Anadarko, Pura Vida Energy, Galp Energia, Wintershall, Keer Mc Gee… Des noms qui sonnent plutôt bien dans les salles de marché de la City ou de Wall Street, mais qui sont inconnus chez nous. Dans le jargon des pétroliers, on les appelle les wild catting (les “prospecteurs sauvages”), des sortes de “découvreurs” de gisements à revendre aux majors comme Shell, Chevron ou Total, seules capables d’investir sur le long terme pour leur exploitation. Mais ces compagnies, généralement cotées en Bourse, ne viennent pas pour rien. Le Maroc est pour eux un eldorado non encore exploité, comme le souligne le cabinet d’intelligence économique Oxford Buisness Group dans son dernier rapport sur le royaume chérifien. Et les arguments qu’ils avancent pour convaincre les boursicoteurs de financer leurs expéditions sont très simples : le Maroc est géographiquement proche de pays producteurs de gaz et de pétrole comme l’Algérie, la Libye ou encore l’Egypte, et présente les mêmes caractéristiques géologiques que la côte est du Canada, zone riche en hydrocarbures, jadis collée au continent africain. Logiquement donc, il n’y a aucune raison pour que le Maroc n’ait pas sa part de ce gâteau divin.

 

Largesses marocaines

Cet intérêt croissant s’explique aussi par la générosité de l’Etat marocain. Le Code des hydrocarbures offre en effet de nombreux avantages aux aventuriers de l’or noir : exonérations fiscales sur les 10 premières années d’activité et un taux de royalties de 10% pour les revenus du pétrole et d’à peine 5% pour ceux du gaz, exonération totale sur les dividendes et les plus-values réalisés sur la cession d’actions de la compagnie… Mais la cerise sur le gâteau reste la participation de l’Etat dans le tour de table de ces compagnies étrangères. L’ONHYM, représentant des intérêts du Maroc. dans le secteur, ne peut en effet détenir plus de 25% du capital des firmes qui exploitent des gisements d’hydrocarbures au Maroc. Un des taux les plus généreux au monde, si l’on en croit la banque d’affaires londonienne VSA Capital, qui signale “qu’en Egypte, en Libye, en Norvège ou encore au Venezuela, la participation de l’Etat dans le tour de table dépasse facilement les 60%” ! Dans une récente interview au portail britannique d’informations financières Proactive Investors UK, Andrew Benitz, patron de Longreach Oil & Gas, société britannique qui explore au large de Tarfaya et près de Kénitra, donne la mesure de ces largesses : “Grâce aux avantages accordés par le gouvernement marocain, un baril de pétrole découvert au Maroc équivaudrait économiquement à 13 barils algériens”. L’Office national du tourisme martèle que “le Maroc est le plus beau pays du monde”. Ce ne sont pas les wild catting qui diront le contraire, ni les majors d’ailleurs.

 

Poker menteur ?

En ouvrant ses bras, ou plutôt ses entrailles, aux compagnies étrangères, le Maroc a commencé aussi à intéresser les majors. Chevron est l’une d’entre elles. Quatrième producteur mondial de pétrole, l’Américain vient d’annoncer la semaine dernière avoir ouvert une filiale 100% marocaine, qu’il a baptisée Chevron Morocco Exploration Limited. Aussitôt installée, la firme a signé trois accords avec l’ONHYM, pour l’exploration au large des côtes marocaines, notamment à Oualidiya, ville plus connue pour sa belle lagune et ses huîtres que pour son “potentiel pétrolier”. Le géant français Total aurait aussi fait son entrée dans la course, si l’on en croit l’agence suisse Ecofin, qui vient d’annoncer la signature par le groupe français et l’Etat marocain d’un accord de prospection pétrolière sur un gigantesque bloc offshore au Sahara. Une frénésie accélérée aussi par les récentes annonces de découverte de gisements importants de pétrole au large d’El Jadida et à Foum Draâ, un peu plus au sud. Des gisements identifiés par l’Australien Pura Vida Energy et le Britannique Longreach Oil & Gas et qui recèleraient un potentiel de plus de 5 milliards de barils, soit 4250 milliards de dirhams, plus de quatre fois le PIB du royaume. Des chiffres qui donnent le tournis mais que l’indéboulonnable Amina Benkhadra, patronne de l’ONHYM, relativise, craignant un épilogue tragi-comique à la Talsint : “Ces annonces sont faites dans un but purement financier pour permettre aux sociétés de lever des fonds à l’étranger. Le potentiel existe certes, mais il faudra encore mener de lourds travaux de forage pour qu’on ait une confirmation”, répond-elle en filigrane, aux journalistes qui se voient déjà en abayas blanches et turbans noirs. C’est qu’entre la découverte et l’exploitation, il faut entre 8 et 10 ans de travaux de forage. Une longue durée qui nécessite des investissements colossaux en matériel, équipement de forage et autres installations offshore. Mais qui n’effraie décidément pas les majors qui se bousculent déjà au portillon.

 

Histoire. Le Maroc, ce pays pétrolier

La chasse à l’or noir au Maroc ne date pas d’hier. En 1923 déjà, le royaume, alors sous protectorat, a démarré l’exploitation de plusieurs puits de pétrole dans le bassin du Gharb, près de Kénitra. Une compagnie marocaine nommée la Compagnie chérifienne de pétrole est créée six ans plus tard. De 1929 à 1958, pétrole et gaz sont découverts dans d’autres régions, notamment dans le pré-Rif, et la production de pétrole atteint en cumulé les 8 millions de barils. Un chiffre qui va encore augmenter après la découverte d’autres gisements de pétrole mais surtout de gaz près d’Essaouira, à Meskala. Un champ qui continue jusqu’à aujourd’hui d’alimenter, via 8 pipelines, le site de Youssoufia de l’OCP et la raffinerie de Mohammedia, la Samir. Malgré ces travaux de prospection précoces, le Maroc, qui dépense chaque année 100 milliards de dirhams pour ses besoins énergétiques, reste (bizarrement) sous-exploré avec seulement 0,04 puits creusé sur 100 km2 alors que la moyenne mondiale est de l’ordre de 10 puits pour 100 km2.

 

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