L’ex-international a troqué son maillot de footballeur contre le costume-cravate de consultant télé. Commentateur sur Al Jazeera Sport, il dissèque aujourd’hui la prestation des Lions de l’Atlas à la Coupe d’Afrique. Coup de projecteur sur un footballeur à la reconversion cathodique réussie.
Plusieurs années après avoir raccroché ses crampons, l’ancien milieu de l’équipe nationale affiche toujours la même dégaine. Cheveux longs, attitude décontractée, look élégant et sobre, Chipo crève l’écran sur les plateaux d’Al Jazeera Sport où il officie comme chroniqueur. Il est vite devenu le spécialiste maison de la Ligue des Champions et de la Liga espagnole. A l’occasion de la CAN 2013, l’ex-international livre des analyses de la prestation des Lions en Afrique du Sud et du coach Rachid Taoussi. “L’équipe nationale souffre de l’absence de milieu de terrain charismatique pour animer le jeu, et les joueurs, qui sont en manque de volume de jeu, ont souffert physiquement”, explique-t-il, sans concession, à l’issue du premier match qui a opposé le Maroc à l’Angola.
Après une longue carrière de footballeur, Chipo se consacre désormais à sa famille, ses affaires et son job de consultant pour la chaîne qatarie. Justement, en parlant de famille, Chipo est un papa comblé avec son épouse marocaine, qu’il a rencontrée en Suède, et ses quatre filles Camélia, Lina, Sofia et Sara… dont il exhibe tendrement les photos sur son téléphone. Dans un arabe limpide, truffé de quelques mots en anglais, séquelles de quatre années passées en Angleterre, Chipo nous déroule le film de sa vie, non sans nostalgie.
“Le foot m’a chipé”
Né en 1973, à Bejaâd, près de Oued Zem, d’un père fonctionnaire des Eaux et Forêts, Chipo change de domicile au gré des affectations du paternel. En 1979, la famille s’installe définitivement à Kénitra, où le petit Youssef s’invente une nouvelle vie. Déjà à l’école, il montre des aptitudes sportives hors normes. “C’était encore la grande époque des jeux scolaires. En plus du foot, je pratiquais beaucoup l’athlétisme. Ça m’a servi après”, se souvient-il. Le parcours de Chipo est aussi prévisible que celui de tous les oulad chaâb : des matchs dans le quartier à n’en plus finir, avant de décider, avec un groupe de potes, de tenter sa chance lors des essais annuels de l’équipe de la ville. Il y sera retenu à l’âge de 12 ans. “Mes parents n’en savaient rien. Je me suis entraîné avec le KAC pendant quatre mois avant d’inviter mon père à assister à mon premier match avec les minimes. Il a accepté l’idée à condition de ne pas lâcher mes études”, se rappelle-t-il. Doté d’un physique de bagarreur, Chipo gravit les échelons jusqu’à être sélectionné avec l’équipe A, alors qu’il est âgé d’à peine 18 ans, et joue son premier match contre le Difaâ Hassani d’El Jadida. “J’ai été tellement mauvais que j’ai disparu pendant une semaine, avant que l’entraîneur brésilien A. Greco ne m’envoie quelqu’un me chercher à la maison”, dit-il avec le sourire. Après quatre saisons au KAC, dont une année blanche suite à une blessure au genou, l’équipe dégringole en deuxième division. Il décide alors de partir en 1995. Destination : le club El Arabi du Qatar. Parallèlement, il est suivi de près par les recruteurs de la sélection nationale, à l’époque en reconstruction après la débâcle de la Coupe du Monde de 1994 aux USA. Le destin de Chipo prend un nouveau virage.
Doha, Porto, le Real…
On est en 1997 et le Qatar entame son projet de création d’un championnat qui attire les stars en fin de carrière à coups de millions de dollars. Chipo s’en rappelle très bien : “Malgré un niveau de championnat très moyen, cette expérience m’a permis de travailler pour subvenir aux besoins de la famille et d’avoir de la visibilité pour jouer en équipe nationale”. Cette démarche s’avère payante, puisque Youssef finit par attirer les chasseurs de tête à la recherche d’un milieu de terrain récupérateur. A commencer par l’AJ Auxerre, de l’inusable Guy Roux, et son recruteur Dominique Cuperly, adjoint de l’ex-entraîneur du onze national Eric Gerets. Parallèlement, le FC Porto, en prospection au Maroc pour un autre joueur, opte finalement pour Chipo et s’adjuge les services du milieu de terrain entre 1997 à 1999. Il est sacré champion du Portugal deux fois avec son équipe et dispute deux fois la Champions League aux côtés de coéquipiers comme João Pinto, le Brésilien Aloisio ou encore le gardien Vítor Baía. Ses souvenirs sont encore intacts : “J’ai eu la chance de jouer contre le Real Madrid de Roberto Carlos, Raul, Redondo et Mijatovic… Ce sont des moments qui comptent dans la vie d’un joueur”. Parallèlement, l’équipe nationale, dirigée dans le temps par Henri Michel, vit une belle période avec une génération de joueurs du terroir qui se sont aguerris au contact du professionnalisme. De cette belle aventure, Chipo rapporte que “la cohésion au sein de l’équipe nationale fut telle que Henri Michel n’avait qu’à nous expliquer les choses à demi-mots pour que nous intégrions sa vision du jeu”. Le milieu de terrain évolue au sein d’une équipe des Lions considérée par les spécialistes comme l’une des meilleures de tous les temps (avec celles de 1970 et 1986) et participe à une Coupe du Monde plus qu’honorable en 1998 en France.
Le goût du voyage
De 1999 à 2003, Youssef Chipo connait le bonheur au sein de l’équipe anglaise de Coventry, alors en première division du championnat le plus disputé au monde : “L’Angleterre est La Mecque du football. Tout y est : les supporters, le jeu, l’esprit et l’engagement. Le dimanche, les matchs de football sont de véritables spectacles pour toute la famille”. Après quatre ans de pure satisfaction personnelle, Chipo retourne au Qatar, à Al Sadd, pour une retraite dorée aux côtés de grandes stars comme Gabriel Batistuta et Marcel Desailly. En 2006, la nostalgie du pays prenant le dessus, il décroche pour s’installer définitivement au Maroc. “Comme je n’aime pas chômer, j’ai lancé quelques affaires familiales et entamé des études pour décrocher une licence d’entraîneur, puis passer des stages de validation en Suède”, explique l’ex-Lion de l’Atlas. Entre business et études, Youssef Chipo est recruté par la chaîne qatarie Al Jazeera, en tant que consultant lors des matchs de la Champions League. “Je préfère rester dans ce que je sais faire. J’ai voulu lancer une école de football, mais mon dossier s’est perdu dans les tiroirs de l’administration. J’ai fini par investir dans un café comme d’autres joueurs”, regrette-t-il, sur un ton ironique. Cependant, dès qu’on évoque l’état du football au royaume, Chipo se dit “écœuré”. La Fédé ? “Un ramassis d’amateurs déconnectés de la réalité du football”. L’équipe nationale ? “On ne peut pas descendre plus bas, nous avons perdu plus de 13 ans et des milliards pour rien”. Le passage au professionnalisme ? “C’est une bonne blague, les clubs ressemblent à des épiceries gérées par des incompétents et des arrivistes”. Bref, Chipo tacle toujours aussi bien !
Zoom. L’expert du ballon rond A l’occasion de la CAN 2013, la chaîne Al Jazeera Sport a sorti le grand jeu pour couvrir la fête africaine du football. Aux côtés de Chipo, la star maison, on retrouve l’autre gloire des Lions, Aziz Bouderbala, et Emmanuel Amunike, l’ancienne star du football nigérian. Au menu, des palettes en 3D, des analyses des performances des joueurs et des stratégies des entraîneurs. “Je passe deux semaines par mois à Doha et parfois plus quand il s’agit de couvrir la Ligue des Champions”, affirme Chipo, qui a failli tout lâcher pour se consacrer à son ancien club, le KAC. Porté à l’unanimité à la tête du club kénitrien, le 17 juillet 2012, une semaine après, Chipo découvre l’existence d’un comité parallèle dirigé par son challenger. Devant cet imbroglio juridique, Chipo se retire sans vagues de la course. “Je ne suis pas prêt à aller devant la justice, même si les événements sont entachés d’illégalités. J’ai décidé de laisser tomber et de passer à autre chose”, regrette Chipo, qui ne s’étonne pas de la descente aux enfers du KAC, son club de toujours. |