Tendance. L’hypnose s’impose

Par Hugo Massa

Puissant anesthésique, remède contre les addictions, les troubles alimentaires ou le manque de confiance en soi… l’hypnose est utilisée par médecins et coachs pour traiter toutes sortes de maux. Tour d’horizon d’une pratique qui connaît un succès grandissant.

 

“Vos paupières sont lourdes, très lourdes… Dormez je le veux…” Oubliez tout ce que Hollywood vous a appris. Les praticiens qui l’utilisent aujourd’hui sont à mille lieues du magicien au chapeau haut de forme qui agite un pendule devant vos yeux afin de disposer de votre volonté. Cette mise en scène, ils l’appellent, non sans mépris, “l’hypnose spectacle”. Rien à voir avec leur pratique dans un cadre clinique ou de coaching. Au Maroc, une cinquantaine de médecins, regroupés au sein de l’Association marocaine d’hypnose clinique (AMHYC), se sont approprié cette méthode, et plusieurs dizaines de coachs l’ont également intégrée dans leur boîte à outils.

 

Suivez le lapin blanc

Installez vous convenablement dans votre fauteuil. Fermez les yeux. La voix de l’hypnotiseur (du praticien en hypnose plus exactement) se fait douce, suave. Elle vous invite à vous relaxer, à respirer profondément, à prendre conscience de votre corps et de ce qui vous entoure. Vous imaginez un lieu confortable, où vous vous sentez à l’aise, peut-être un jardin, un paysage de montagne ou un bord de mer où vous aimez vous retrouver. Dans ce décor imaginaire, vous trouvez un escalier, un ascenseur, une montgolfière… Voici un exemple parmi les dizaines de protocoles proposés en hypnose pour vous faire entrer en communication avec votre inconscient. “Tous les protocoles ont en commun de faire appel aux métaphores, qui sont le langage de l’inconscient, explique le docteur Hassan Talibi, anesthésiste, hypnothérapeute et secrétaire général de l’AMHYC, en alternant justement les silences et les mots, on arrive à mettre le patient en état de transe hypnotique”. Transe, oui. Mais pas de crainte, si cet état vous permet de dialoguer avec votre inconscient, vous restez le seul maître à bord. “A l’origine, ça me faisait peur, ça me paraissait quelque chose d’extrême, nous confie Siham, une maman qui a eu recours à l’hypnose avec un coach pour gérer sa grossesse. En réalité j’étais tout à fait consciente, et ça m’a permis de revenir sur les mauvais souvenirs qui m’obsédaient et me bloquaient”. En fait, cet état d’hypnose, nous le connaissons tous. C’est celui que l’on expérimente lorsqu’on conduit, tout en écoutant la radio et en discutant avec le passager. Ou encore celui que l’on ressent lorsqu’on regarde un film : projeté dans l’histoire et coupé de ce qu’il se passe autour de nous. “C’est un état modifié de conscience, distinct du sommeil et de l’éveil, précise le docteur Myriam Nciri, présidente de l’AMHYC. Et il n’y a aucun risque pour que le patient soit amené à faire quelque chose dont il n’a pas envie.” Bonne nouvelle pour ceux qui auraient peur de se faire voler leur numéro de carte bancaire. “Si c’était possible, on aurait déjà braqué beaucoup de banques, et avec le consentement des guichetiers”, ironise le docteur Brahim Bokhabrine, médecin généraliste membre de l’AMHYC.

 

Transe thérapeutique

Asthme, troubles alimentaires, troubles digestifs, acouphènes, vertiges, migraines, insomnie, stress, maladies de la peau, addictions, phobies ou même dysfonctionnements sexuels… si le corps médical, toutes spécialités confondues et pas seulement chez les psychiatres, s’est approprié l’hypnose, c’est qu’elle a fait ses preuves cliniques. “La médecine classique n’a pas toutes les réponses, confie Rachid Elkhetar, pneumologue. Certaines pathologies ont un fondement psychologique”. Les applications les plus connues et les plus répandues demeurent sans conteste l’anesthésie et le traitement de la douleur. “L’hypnose est un puissant analgésique qui permet de réduire considérablement les doses d’anesthésiants chimiques, explique le docteur Talibi. On la couple souvent à une anesthésie locale ou loco-régionale, là où on aurait appliqué une anesthésie générale en temps normal quand c’est possible. ça permet une récupération et une cicatrisation plus rapides”. Et s’il y a un bienfait de l’hypnose qui risque de vous être vendu par ses adeptes, c’est son efficacité dans le traitement des addictions. Hassan, un chef d’entreprise qui était fumeur depuis 25 ans, témoigne : “A la base, je pensais consulter pour me renseigner. A la fin de la première séance, je suis sorti avec la ferme intention d’en griller une, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai donné mon paquet au gardien du parking. Je n’ai plus jamais retouché une cigarette”. Aucune magie derrière cela, nous disent les praticiens, l’hypnose permet juste d’exprimer dans votre vie consciente vos convictions enfouies dans l’inconscient. Ceux qui sont passés par là mettent cependant en garde contre ce qui pourrait sembler constituer une réponse clé en main à la dépendance au tabac. “Le manque physique demeure, ça reste un combat de tous les jours”, confie Hassan.

 

Coaching par l’hypnose

A côté des médecins, l’hypnose est aussi de plus en plus utilisée par des coachs dans le cadre de leur pratique d’accompagnement à la personne, en entreprise ou en privé. Chez les uns comme chez les autres, une séance devrait vous coûter entre 500 et 1000 DH. Comment s’y retrouver ? Côté médecine, l’AMHYC défend un principe intangible : chacun doit l’utiliser dans son domaine de formation initiale. En gros, n’allez donc pas demander à votre dermato une séance d’hypnose pour vous aider à appréhender vos crises d’asthme. Quant aux coachs, ils prennent garde à ne pas franchir les limites d’une relation d’aide à la personne dans une démarche de développement personnel. Catherine Barut, coach et organisatrice de séminaires de formation en hypnose, justifie ainsi l’existence d’un module d’introduction à la psychopathologie dans ses programmes : “C’est important pour les coachs de pouvoir repérer des pathologies mentales graves. On ne veut pas prendre le risque de prendre en charge un problème lourd, comme la dépression, qui devrait être traitée par un médecin”. Les risques, nous disent-ils, sont donc nuls si on s’adresse à une personne qualifiée et à qui on fait confiance. Seul hic, s’ils sont de plus en plus nombreux à guérir ou à accompagner par l’hypnose, la plupart des praticiens avouent avoir du mal à le faire en darija. La plupart des formations sont en effet dispensées en français, et le langage métaphorique requis est difficile à improviser dans une autre langue. Des praticiens travaillent donc à la traduction des protocoles pour démocratiser la pratique.

 

Zoom. L’hypnose ericksonienne

La méthode qui fait consensus aujourd’hui auprès des médecins et des coachs est celle dite de l’hypnose ericksonienne, du nom de son fondateur Milton Erickson. Ce brillant psychiatre américain a développé, au milieu du XXème siècle, une approche souple de l’hypnose qui abandonne les protocoles directifs (les “dormez, je le veux”) au profit des suggestions indirectes et des métaphores. “C’est une hypnose permissive, explique Zohor Al Amrani, consultante en développement personnel à Casablanca. On laisse toujours le choix au patient, par exemple en lui proposant de se détendre… ou de ne pas se détendre”. Les séances sont assez longues, de 45 minutes à une heure environ. La première commence toujours par un interrogatoire au cours duquel des objectifs sont établis tandis que le thérapeute détermine le profil du patient. Outil de changement parmi les plus rapides, l’hypnose ericksonienne est une forme de thérapie brève, qui a pour seule condition de réussite la volonté initiale du patient. En théorie, 2 à 10 séances suffisent à vous débarrasser de la cigarette ou à vous apprendre à mieux gérer votre stress.