C’est un Zakaria Boualem glorieux qui s’adresse à vous cette semaine. Sorti victorieux d’un derby haletant, l’homme est prêt aujourd’hui à affronter à peu près tout ce que ce pays propose, y compris un nouveau doustour avec son référendum. Le Guercifi a vécu une journée terrible au Stade d’honneur, oui une journée, traversé par des secousses d’émotions telluriques, des sensations collectives qui viennent rappeler que le foot européen, si beau soit-il, n’arrivera jamais à dépasser dans sa vie le rôle de spectacle. Mais là n’est pas le débat. Aujourd’hui, il compte décortiquer avec vous un petit bout de Maroc dans ses dimensions sociales, comportementales et, n’ayons peur de rien, économiques. Voici les faits : à l’entrée du stade, Zakaria Boualem présente son billet à un stadier et jusqu’ici tout va bien, nous sommes dans les normes Schengen. Soudain, au lieu de déchirer le billet et de remettre son talon au Boualem, l’homme le plie soigneusement : “C’est bon, passe, pas de talon aujourd’hui, douz douz douz”. Fin des faits.
Voici la suite : le stadier, qu’on nommera Jaâfar parce qu’il commence à prendre une place importante dans cette chronique, va vendre les billets intacts ramassés à la porte à un vendeur au marché noir, qui les revendra à d’autres Zakaria Boualem, et c’est ainsi qu’une tribune se retrouve avec deux ou trois fois plus de spectateurs que prévu, et non, pas merci.
Nous sommes devant un dysfonctionnement classique chez nous, qui peut d’ailleurs mener un jour à une véritable catastrophe, pas besoin d’expert pour l’imaginer. Nous avons des gens entassés dans un espace exigu, qui peuvent finir par se piétiner en cas de bousculade, tous ont payé leur billet. Nous en avons d’autres qui n’ont pas réussi à entrer malgré leur billet et qui rôdent autour du stade gouvernés par le démon du sentiment d’injustice.
Analyse économique : un seul billet revendu plusieurs fois, générant des marges sans valeur ajoutée, un Jaâfar qui optimise une position accordée et en profite aussitôt comme s’il allait mourir demain matin, un Zakaria Boualem qui doit supporter la dégradation du service qu’il a acheté et qui finit par se mettre physiquement en danger malgré lui, ca ne vous rappelle rien ? Oui, les grimate, nous sommes donc devant un modèle économique marocain récurrent, c’est une petite fierté.
La difficile question de la responsabilité : Il va y avoir une catastrophe un jour, c’est une évidence. Ce jour-là, tout le monde se posera la question suivante : qui est responsable ? Histoire de gagner un peu de temps, on va essayer d’y répondre aujourd’hui. C’est parti. Jaâfar est responsable, c’est une évidence, passons rapidement. Mais que dire du policier qui, à quelques centimètres de lui, observe son petit trafic ? Peut-on sans trop extrapoler imaginer qu’il aille jusqu’à en profiter en prélevant une nouvelle petite taxe ? Responsable lui aussi, ok, pas de problème. Et Zakaria Boualem, il est responsable ou pas ? Après tout, il pourrait faire un petit scandale à l’entrée, exiger son talon, non ? Mais à ce moment-là, il veut juste entrer voir son match et il se doute bien qu’une telle attitude pourrait considérablement compliquer cette mission, question d’intuition. D’accord, mais il pourrait alors écrire dès le lendemain matin à un organisme de contrôle pour se plaindre de ce fait. Il doit bien y avoir un organisme de contrôle quelconque pour ce genre de truc, non ? Il se pourrait même qu’il y en ait deux. Il aurait la même probabilité de succès qu’un handicapé qui essayerait de défier Usain Bolt aux 100 mètres, mais bon, si on ne remonte pas les dysfonctionnements, comment espérer les voir disparaître ? Il convient de faire confiance aux institutions de notre pays ! J’ai adoré écrire cette dernière phrase, les journalistes du Matin du Sahara doivent s’éclater les bougres. Il pourrait aussi porter plainte, aller jusqu’au bout…Alors, il est responsable, le Boualem, ou pas ? Et l’autre, celui qui a acheté au marché noir le ticket usagé de Zakaria Boualem en se doutant bien que c’était une bonne occasion, il est plus responsable ou moins que le Boualem ?
Bon, je vous laisse réfléchir, il y a une victoire à célébrer, et merci.