Rappeur emblématique du Mouvement du 20 février, Mouad Belghouat, alias L7a9ed, purge sa peine à la prison de Oukacha. TelQuel vous raconte le quotidien d’un prisonnier pas comme les autres.
Plus que six mois à tirer. En attendant, Mouad Belghouat, alias L7a9ed (un blase qui veut dire “l’Indigné”), rappeur emblématique du M20, continue de purger sa peine à la prison de Oukacha de Casablanca. Mais à quelque chose malheur est bon : là où il aurait pu mourir d’ennui ou sombrer dans la déchéance, L7a9ed se “muscle” derrière les barreaux. Au sens propre d’abord, pour ne pas rouiller comme il aime à le dire (il fait une heure trente de sport par jour, du foot surtout, et quelques “harakat”, des mouvements), mais aussi, et surtout, intellectuellement. Il lit Dostoïevski, Noam Chomsky, Naguib Mahfouz… “Dehors, Mouad n’avait pas le temps de lire, alors que là, il passe son temps à bouquiner… Il a plus lu en quelques mois de prison que durant toute sa vie. Il a dévoré plus d’une trentaine de livres. Il en sortira grandi”, confie un proche du jeune rappeur. Ses amis sont fiers de lui, de son moral d’acier : “Mouad sait que le Makhzen voulait le casser en le mettant en prison, mais il n’est pas tombé dans le piège. Au contraire, il a su tirer profit de cette situation”.
Le temps du bac
Côté fréquentations, Mouad a rencontré du beau monde à la prison de Oukacha. Alors que, dans un premier temps, il était placé avec une cinquantaine de prisonniers de droit commun, le rappeur énervé a fini par être transféré dans une aile réservée aux détenus d’opinion et aux “personnalités”. Il a pour compagnon de chambrée un certain Abdelhanine Benallou, qui n’est autre que l’ex-directeur général de l’Office national des aéroports (ONDA), actuellement placé en détention préventive. Les deux n’ont a priori pas grand-chose à partager : l’un est magasinier dans le civil, issu de la classe moyenne, l’autre est un technocrate, ancien commis de l’Etat… En temps normal, ils ne se seraient peut-être même pas adressé la parole, mais en prison, les deux hommes, qui partagent le même quotidien, se sont rapprochés.
Agé de 25 ans, le prisonnier Mouad a arrêté ses études pendant le lycée. Durant son séjour carcéral, le rappeur rageur a décidé de replonger dans ses bouquins et a même envoyé au ministère de l’Education nationale un dossier d’inscription pour passer le baccalauréat, section littéraire, en tant que candidat libre pour l’année scolaire 2012-2013. Une demande restée sans retour à ce jour. Qu’à cela ne tienne, le rappeur plonge tout de même dans ses bouquins, apprend l’anglais, feuillette son dictionnaire arabe-français et envisage de poursuivre ses études supérieures dans une filière juridique et, pourquoi pas, devenir avocat. “Le déclic a eu lieu durant son procès. Il s’est dit que le droit ouvrait des portes, qu’il devait connaître les armes des magistrats qui le jugeaient”, raconte un proche de Mouad, qui lui rend régulièrement visite en prison.
An icon is born
Début 2012, Mouad avait été condamné à un an de prison pour diffamation de la police. Objet du “délit” ? Une chanson aux lyrics très critiques envers les policiers marocains, reprise sous forme de clip par des internautes, amateurs de montage, et diffusée sur YouTube. On y voit donc, entre autres, un policier affublé d’une tête d’âne, une photo du Premier ministre avec une longue barbe façon salafiste “photoshopée”, des images détournées de la famille royale, des “martyrs du Mouvement du 20 février”. Buzz. La vidéo affiche plusieurs milliers de visites au compteur. Bref, autant dans son quartier populaire d’Al Wifaq, situé à la périphérie de Casablanca, que sur Internet, L7a9ed est devenu une star. Mais alternative. Underground. Sûrement un peu grâce à la campagne de solidarité, nationale et internationale, lancée par ses amis, parmi lesquels la vidéaste Maria Karim. “Dans le quartier, je vois des petits jeunes qui écoutent ses chansons, dans le bus, dans la rue”, confie Abderrahim, le frère de Mouad. Une icône est née.
Au quotidien, Mouad continue de manier la plume, d’écrire les lyrics de ses prochaines chansons, comme si de rien n’était. Dans la même veine que ses refrains enflammés, où il clame “donne-moi mes droits ou tue-moi”, avec sa voix gutturale qui contraste avec son physique fluet et longiligne et sa peau de bébé. Pendant ce temps-là, dans le derb, ses amis continuent de répéter les chansons de Mouad, celle où il tire sur tout ce qui bouge, où il critique avec des paroles hardcore la corruption, où il clame “vive le peuple” et critique le régime… Il y a quelques semaines, une nouvelle lui a mis du baume au cœur. Son frère lui apprenait sa nomination pour le prix de l’intégrité que décerne chaque année l’ONG Transparency Maroc. “C’est en quelque sorte une récompense pour l’ensemble de son œuvre”, confie Abdou Berrada à TelQuel. Ce journaliste retraité de l’AFP, sympathisant du Mouvement du 20 février, compte parmi les amis et proches soutiens du rappeur dissident. Il a découvert l’enfant de Hay Al Wifaq, quartier populaire de la banlieue casablancaise, durant les marches contestataires du M20, en 2011. “J’ai assisté à des tentatives de lynchage de L7a9ed pendant les marches. A plusieurs reprises, des baltagias ont tenté de l’agresser”.
Indigné un jour, indigné toujours
C’est au journaliste à la barbe grisonnante, qui aurait pu être son père, que L7a9ed a fait parvenir une liste d’ouvrages qu’il souhaitait lire. “Mouad est quelqu’un d’intelligent, il m’impressionne par son courage et sa sincérité. C’est quelqu’un qui vise là où ça fait mal, qui frappe juste et fort. Il représente à lui tout seul l’état d’esprit d’une grande partie de la jeunesse marocaine”, estime Abdou Berrada. “C’était évident que le Makhzen ne pouvait pas tolérer son discours contestataire. Pour moi, sa deuxième incarcération n’était pas une surprise. Au final, le Makhzen a fait de lui un héros, c’était le meilleur service qu’il pouvait lui rendre”. Rappeur inconnu de la nouvelle scène marocaine, il est devenu en l’espace d’un Printemps marocain et de deux incarcérations la voix des “Ma7gourine” (opprimés).
Zoom. Le “tracks” qui fait mal Contrôle d’identité, violence, corruption… la chanson qui a valu une condamnation à un an de prison à L7a9ed pour atteinte à corps constitué est un véritable brûlot contre la police. L’Indigné porte bien son nom et défie le système, à coups de textes engagés et enragés, popularisés sur Internet durant la parenthèse du Printemps marocain. Pendant que nombre de ses comparses rappeurs appelaient à voter pour la réforme de la Constitution dans une chanson, sorte de We are the world local, L7a9ed, lui, continuait à haranguer les foules durant les marches dominicales du Mouvement du 20 février, sur un triporteur, mégaphone à la main. Mouad était devenu le porte-parole officieux du M20, et c’est probablement sa popularité qui lui a joué des tours, lui coûtant une deuxième condamnation après celle survenue en 2011, officiellement pour coups et blessures. Une version réfutée par les proches du rappeurs qui assurent que c’est plutôt lui qui s’est fait agresser par un des baltagias, empêcheur de manifester en rond. “Que voulez-vous, c’est difficile à accepter mais on s’adapte. Toute la famille est derrière lui, sans exception, autant ses frères que son père”, confie son frère. Moins fataliste, Omar Bendjelloun, avocat de L7a9ed, estime que l’incarcération de son client est à elle seule révélatrice de la politique pénale du pays : “Cette politique est imperméable et intolérante vis-à-vis de toute parole militante ou contestataire. Demain, si quelqu’un se met à chanter un texte contestataire contre l’establishment, il risque de subir le même sort”. |