Depuis quelques jours, l’histoire de Mohamed Nahmed, ce jeune mécanicien de Berrechid qui a fabriqué un avion, est sur toutes les lèvres. Rencontre avec ce Abbas Ibn Fernass des temps modernes.
Sous le soleil de Douar Lahsasna, au fin fond de la Chaouia, des poules caquettent tranquillement aux côtés d’une tayara aux couleurs tout droit sorties de l’enfance : jaune poussin, traversée d’une bande rouge et d’une autre verte… L’allure de ce coucou à la queue duquel flotte un drapeau du Maroc et où la photo de Mohammed VI trône au milieu du cockpit, rappelle les avions présents dans les manèges pour enfants. Pourtant, selon son concepteur, Mohamed Nahmed, 22 ans, l’appareil pourrait voler sur plus de 100 kilomètres, à 300 mètres d’altitude. Rien que ça ! Et depuis la diffusion de la nouvelle, les curieux ne cessent d’affluer pour voir de plus près la “bête”, la toucher, et questionner son fabricant, “Moul Tayara”, devenu une véritable star locale.
I believe I can fly
Comme tous les enfants du monde, Mohamed Nahmed a longtemps rêvé de devenir pilote. Lorsqu’il passait par Casablanca, il s’arrêtait pour assister des heures durant au ballet incessant des décollages et des atterrissages à l’aéroport Mohammed V. Après avoir arrêté ses études, Mohamed est devenu mécanicien, bricoleur doué, réparant toutes sortes d’engins mécaniques dans la région. Une première fois, il s’essaye à la fabrication d’un appareil volant. Il débute un premier projet, qu’il abandonne en cours de route, car trop coûteux. Mais déterminé à aller au bout de ses rêves, en mai 2012, après avoir réuni quelques économies pour l’achat de plaques de tôle, Mohamed réitère l’essai. Il ouvre un “atelier” au domicile de ses parents, au milieu des arbustes et des cactus. Armé d’une connexion Internet, d’une calculette et de matériel glané ça et là —un énorme poste à soudure et un chalumeau traînent encore dans le jardin—, il entreprend la fabrication d’un monoplace.
A la fin de l’été 2012, le coucou de Mohamed est presque terminé ; il ne lui manque que quelques finitions. L’avion est monté sur des roues de motocyclette. Ses mensurations et aspects techniques : 3m60 sur 4m60, 140 kilos, deux moteurs de voiture de six chevaux, deux réservoirs de six litres de contenance. Enjoué, fier de lui, Nahmed compte offrir son petit bijou au roi à l’occasion de la fête du trône, le 30 juillet. Il se présente aux portes du palais royal mais on lui refuse l’accès : “Ils ne me croyaient pas quand je leur disais que j’ai fabriqué un avion”. C’est raté pour le présent royal. Mohamed décide alors d’obtenir les autorisations nécessaires pour faire décoller son avion et de prouver ainsi sa réussite. Nouvelle déconvenue pour “Moul Tayara” : le 27 août, il est refoulé par les autorités locales. Trois heures après son passage à la commune, il reçoit la visite de gendarmes pour un interrogatoire d’usage. “Les agents ont été adorables avec moi, mais il y avait avec eux une personne qui a traité mon invention de ‘bidon’”, se rappelle-t-il, vexé. Taquin, il ajoute : “C’est la piste qui mène à notre douar qui est bidon ! Vous avez vu son état ?” Pour les autorités, l’avion n’est pas prêt à décoller et représente même un danger. Ses parents, bien que fiers de leur ingénieux fils, ne semblent pas très chauds pour le voir voler dans un engin artisanal… Mohamed fait fi de ces propos et, à l’instar des pionniers de l’aéronautique, jure, sur un ton chevaleresque : “Je volerai avec mon avion même si cela doit me coûter la vie !” Pour ce Geo Trouvetout de la Chaouia, les accidents éventuels ne sont qu’une partie de l’expérience.
ça plane pour moi
En attendant, Nahmed est devenu la coqueluche des réseaux sociaux : inventeur génial, génie marocain… On ne tarit pas d’éloges sur “Moul Tayara”, dont le coucou a fait l’objet de dépêches internationales. Certains ont été jusqu’à donner à l’affaire de Nahmed une coloration politique en dénonçant l’intervention des agents: “On empêche toute créativité de s’exprimer !” Le jeune homme veut se concentrer sur son projet et compte entamer une bataille juridique qui lui permettra de faire décoller son monoplace. Cependant, quelques oreilles sont en revanche sensibles à l’intelligence du fils du Douar Lahsasna. Celui-ci a déjà reçu plusieurs coups de fil de mécènes, dont un d’une société d’aviation qui s’est dite prête à lui offrir des cours de pilotage. Le père de Mohamed Nahmed, philosophe, conclut : “Même si l’avion ne décolle pas, on pourra toujours vendre des tickets pour les visites !”