Le bilan de la saison 1 du football professionnel au Maroc n’est pas terrible. Et encore…
Attendue depuis des années, l’entrée du foot dans l’ère du professionnalisme s’est faite au forceps. Le cahier des charges était si prohibitif qu’on s’attendait à ce que plusieurs équipes n’ayant pas la santé financière requise, ni de terrain conforme au nouveau règlement, quittent l’élite. Il n’en fut rien. Toutes les équipes ont gardé leurs places, parfois repêchées comme cela a été le cas pour le Moghreb de Tétouan, qui présentait un dossier financier mal goupillé. Le MAT a poussé le luxe jusqu’à finir champion, quelques mois plus tard. Les optimistes y ont vu un clin d’œil ironique de l’histoire. Les pessimistes, eux, l’ont retenu comme preuve du niveau moyen, pour ne pas dire quelconque, de la Botola Pro.
L’énigme Zakaria Zerouali
La saison a été entamée de la pire des façons, avec une tragédie nommée Zakaria Zerouali. Le défenseur du Raja de Casablanca, un trentenaire, est mort suite à un mauvais diagnostic médical. L’affaire a commencé jeudi 8 septembre 2011, lorsque le Raja de Casablanca a effectué un déplacement de 4 jours à Garoua, au Cameroun, pour affronter le club local de Coton Sport. De retour au Maroc, Zerouali manque quelques séances d’entraînement. Il est malade. Fatigue, vomissements à répétition, fièvre, etc. Admis en clinique, il est mis sous antibiotiques et reste en observation jusqu’au lendemain. Les premières analyses font état d’une baisse anormale du nombre de plaquettes dans le sang, symptôme typique des maladies tropicales, alors que son médecin diagnostique…une intoxication alimentaire. Jeudi 29 septembre, Zerouali sombre dans le coma. Pris de panique, les dirigeants du club tentent de le transporter à l’hôpital militaire de Rabat, actuellement le seul à disposer d’une unité spécialisée dans le traitement des maladies tropicales. Mais l’état du joueur rend son déplacement impossible. Il reste donc à Casablanca, où il est admis en réanimation. Dimanche 2 octobre, alors qu’il est sous respiration artificielle, son foie lâche. La mort est prononcée lundi 3 octobre, et la dépouille du footballeur est acheminée le soir même à Berkane, sa ville natale. Officiellement, Zakaria est mort des suites d’une intoxication médicamenteuse, due à une surconsommation de paracétamol. Une thèse qui n’a convaincu personne, remettant en cause la prise en charge très insuffisante des sportifs d’élite.
Qui paie le carburant, svp ?
Pour répondre au cahier des charges imposé par la Fédé, les clubs ont dû justifier d’un budget d’au moins 9 millions de dirhams censé couvrir les dépenses de la saison. Après quelques mois d’un faux suspens sur une possible relégation de certaines équipes aux ressources insuffisantes, la fédération a fini par donner le visa Pro aux 16 équipes évoluant en première division. Grave erreur. Dès l’entame du championnat, les vieux démons des éditions passées refont surface. On découvre alors que la Fédé s’est contentée d’accepter des promesses de dons faites par les wilayas et les communes de certaines villes. Des promesses non tenues. Salaires et primes impayés ou encore menaces de grève, plusieurs clubs se retrouvent très tôt sous pression. L’exemple le plus dramatique nous est venu de Khémisset dont le club local a été dans l’incapacité de payer ses joueurs. En déplacement à Al Hoceïma pour affronter l’équipe du Rif, le bus qui transportait Khémisset reste bloqué sur place car personne ne peut payer le carburant. Ce cas n’est pas isolé. Des joueurs “pro” se sont retrouvés, en déplacement à l’extérieur, avec 100 DH et une cuisse de poulet en guise de prime. Vous avez bien lu. A Kénitra, le club local, pourtant fierté d’une région riche (le Gharb) a vu ses joueurs aller jusqu’à brandir la menace d’une démission collective pour salaire impayé. Même le Moghreb de Fès, vainqueur de la coupe du trône, de la Coupe de la CAF et de la Supercoupe d’Afrique, va sombrer progressivement dans une grave crise financière. Cette saison a mis à nu la question du sponsoring. A part les équipes de l’axe Casa- Rabat ou celles qui bénéficient du sponsoring des entreprises étatiques comme l’OCP (Safi, Khouribga), il est très difficile de trouver l’argent dans le reste du Maroc.
Grand derby pour petites équipes
Lors du 111ème derby casablancais Raja-Wydad, qui a eu lieu le 31 décembre 2011, les supporters s’attendaient à un show digne de la Botola New Age. Il n’en fut rien. Pas de but, pas de spectacle, un non-événement sportif. Quelques mois plus tard, en mai 2012, les deux équipes ont remis le couvert. Le match, de nouveau décevant, se déroule en absence des supporteurs du Wydad… qui ont boycotté le stade (parce que précédemment mis en cause dans des affrontements violents ayant émaillé une autre rencontre de championnat). Inédit. Résultat : sur les 42 000 tickets mis en vente, seuls 15 000 ont trouvé preneurs. Du jamais vu dans l’histoire du derby casablancais qui va se jouer dans un stade à moitié vide. Les supporters rajaouis, excédés par les résultats de leur équipe, pourtant championne en titre, iront jusqu’à brandir un Tifo avec les noms des anciens dirigeants pour exiger leur départ. Wydad et Raja, les clubs les plus riches, populaires et titrés du royaume, ont traversé la saison comme des âmes en peine. Ils ont fait de la figuration, là où on les attendait dans le rôle de locomotives. Quand ces deux-là ne vont pas bien, c’est tout le championnat qui en pâtit (baisse des affluences dans les stades et multiplication des désordres extra-sportifs).
Hooliganisme on the air
C’est probablement l’année où la violence dans les stades, mais aussi dans les villes, a été la plus médiatisée, notamment grâce à la télévision et aux réseaux sociaux. Un cap a été franchi samedi 14 avril, lors du match qui oppose le Wydad aux FAR de Rabat, au Stade Mohammed V de Casablanca. L’évènement tourne à la bataille rangée entre les rouges et les forces de l’ordre. Une semaine avant la rencontre, les Ultras de l’équipe de la capitale avaient publié sur Internet leur intention d’organiser un grand cortège pour “marcher sur Casablanca”. Une annonce qui a sonné comme une provocation pour les supporters wydadis, très remontés. Conscientes du danger, les forces de l’ordre s’interposeront pour protéger le cortège des supporters “faraouis”. Insuffisant. Le “spectacle”, retransmis en direct sur la deuxième chaîne, montre un tableau d’une rare violence. Bilan : plus de 80 blessés du côté des forces de l’ordre et plusieurs casseurs arrêtés, dont certains écopent de quatre mois de prison ferme. Difficile de ne pas oublier, dans la foulée, Hamza Bakkali, un supporter wydadi de 21 ans venu de Meknès pour assister à la rencontre. Lors de ce samedi noir, il est touché à la tête et succombe à ses blessures…alors qu’il rentrait chez lui en train. Valeur aujourd’hui, aucune enquête sérieuse n’a pu établir de façon claire les causes de sa blessure mortelle.
Le MAT mate le FUS
Le centre de gravité du football a déserté l’axe Rabat-Casa. C’est certainement l’un des premiers enseignements de cette nouvelle saison. Star incontestée de la saison, le Moghreb de Tétouan (MAT) a épaté par sa rigueur et sa fraîcheur. En misant sur l’entraîneur Aziz El Amri, le président Mohamed Abroun s’est lancé un défi : construire une équipe qui joue un football champagne ouvert et offensif, à l’image de nos voisins ibériques, toutes proportions gardées. El Amri réussira à trouver dans le vivier de l’équipe les joueurs capables de conquérir le titre. Ainsi, la Paloma Blanca va réaliser un sans-faute grâce à un jeu à la fois technique et créatif qui fera du MAT la meilleure défense et meilleure attaque de la Botola. Un beau champion. Le 28 mai, à Rabat, le suspense est d’ailleurs à son comble pour la dernière journée du championnat lors du choc entre le MAT et le Fath de Rabat, club dirigé par Mounir Majidi et Ali Fassi Fihri, président de la Fédé, absent ce jour-là. Devant un FUS sans public ou presque, 20 000 Tétouanais font le déplacement à Rabat pour arracher le titre au cœur même de la capitale. Grâce à une victoire 1-0, le MAT décroche un titre qui se faisait attendre depuis… 1922, date de la création du club. L’équipe remporte au passage un chèque de 3 millions de dirhams, somme comparable au salaire mensuel du coach national Eric Gerets, toujours en manque de résultats avec les Lions.
Des hauts et débats
L’ascenseur entre la première et la seconde division a également eu son lot de surprises. Après une seule saison chez l’élite, l’Ittihad Zemmouri de Khémisset (IZK) retourne en 2ème division, faisant les frais d’une saison trop coûteuse d’un point de vue financier et humain. A noter que ce club a réussi la performance de marquer…11 malheureux petits buts en 30 matchs de championnat. Sans doute un record mondial en la matière. Mais la véritable surprise est venue du club de Laâyoune, la jeunesse d’Al Massira, lui aussi relégué après plusieurs sauvetages miraculeux. Cela a ainsi mis fin à des années de suspicion et a permis au passage de redonner du crédit à la Botola nouvelle mouture. En effet, Al Massira a longtemps été soupçonné d’être maintenu artificiellement en première division pour représenter les provinces du sud. A l’étage inférieur, une autre surprise a eu lieu : ni Marrakech, ni Tanger, deux villes qui se sont pourtant dotées de jolis complexes sportifs, n’ont pu accéder à l’élite. Malgré le fait que Tanger et Marrakech disposent désormais de grands stades, et de budgets conséquents, leurs équipes continuent à sombrer en seconde division. C’est à se demander à quoi serviront ces stades flambant neufs, construits pour accueillir 60 000 personnes mais dont l’affluence moyenne ne dépasse le millier de spectateurs.
Tendance. Présidents dans le vent Depuis la fin de la saison, un véritable vent de changement souffle sur la direction des clubs. Longtemps décriés pour leur gestion approximative et dépassée, l’ancienne garde cède progressivement sa place à une nouvelle génération, ambitieuse et dans l’air du temps. C’est le cas du club du Raja et de son tout jeune président Mohamed Boudrika. Cet homme d’affaires s’est fixé pour objectif de remettre la maison verte sur les rails, grâce à une nouvelle stratégie marketing et en donnant carte blanche à l’entraîneur, Mohamed Fakhir, pour les recrutements et les choix techniques. Du côté de Kénitra, l’organigramme du KAC a connu le même sort. Lors de l’assemblée générale du club, c’est l’ancien international et enfant du club, Youssef Chippo, qui a eu les faveurs des adhérents, devenant ainsi le premier joueur arrivé à la tête d’un club de l’élite par la voie des urnes. Enfin, l’autre bonne nouvelle est venue du Raja de Béni Mellal (RBM) et de son nouveau président, Abdelkrim Jouiti, qui, après le recrutement de l’ex-international Abderrazak Khaïri au poste de coach, devra se pencher sur la question du sponsoring, véritable talon d’Achille des petites villes. |