Rétro. Nos folles années 80

Par Hicham Oulmouddane

Les eighties ont marqué une génération coincée entre l’ère du Baba cool et celle de la frime. Retour (nostalgique) sur une drôle d’époque.

 

Imaginez que vous n’avez ni iPhone, ni ordinateur, ni Facebook, ni YouTube, ni appareil dentaire pour aligner vos dents, ni Keratine pour faire croire que vos cheveux sont lisses, ni iPod pour écouter 20 000 tubes de musique gratos, ni argent de poche gagné dans un centre d’appel. Imaginez tout simplement l’impossible : que vous êtes jeunes et qu’il n’existe qu’une seule station de radio et une seule chaîne de télévision, et que vous ne pouvez pas manifester dans la rue au risque de vous retrouver dans un sombre commissariat de quartier.

Dur, dur. Pourtant, cette jeunesse a bel et bien existé durant les années 1980. Elle constitue actuellement le principal contingent des parents qui assouvissent le consumérisme compulsif de leurs rejetons. Epoque charnière entre les années de plomb, le début de la chute du bloc soviétique et la victoire de l’ultralibéralisme, la génération des années 1980 a vécu l’une des séquences historiques les plus riches du 20ème siècle. Juré, promis.

 

Ridicule ou Bikhir

Le début des années 1980 signe l’ère de la frime en matière de mode. Passé la séquence pattes d’eph’ et chemises flower power, les codes vestimentaires se mettent à l’heure des excentricités, voire de la provocation. Le pantalon mode Charly et les chemises aux couleurs châtoyantes font leur entrée dans le dress-code des jeunes. Une marque va particulièrement être plébiscitée : le jeans Levis 501 importé de l’étranger, et qui n’est pas donné (600 DH, une fortune à l’époque). Pour les filles, la tendance était au fuseau, vestes flashy aux épaulettes fixées avec de grosses ceintures.

Histoire d’être branché pour pas cher, il fallait se rendre aux “puces”, ces marchés d’occase qui ont fleuri à Casablanca, attirant une clientèle de tout le pays. Le plus célèbre reste incontestablement Souk Djayjiya (littéralement le marché des poulaillers). Située dans l’ancienne médina de Casablanca, la place ressemble à une caverne d’Ali baba où les fringues et les accessoires se négocient à des prix plus ou moins raisonnables.

Autre signe distinctif de cette génération : ces innombrables coupes de cheveux, dont les plus emblématiques restent la queue de cheval et la coupe de cheveux en forme de palme, genre Rod Stewart, l’excentricité étant parfois renforcée par des tonnes de gomina.

 

Rock’n’ roll is dead

Après des années 1970 d’abord dominées par la musique progressive, puis par le punk, l’Angleterre commence à déverser un nouveau son : la New Wave. Exit les albums concepts, place à une musique plus enjouée, moins prétentieuse. Les groupes fétiches des jeunes s’appellent désormais The Cure, U2, Prefab Sprout ou encore Frankie Goes to Hollywood. Pour trouver des enregistrements de ces groupes, il fallait chercher et mettre le prix. Ouhman, Gam ou encore Jalal, disquaires mythiques à Casablanca, vont connaissent leurs années fastes. Ils sont alors les seuls à importer les 45 tours originaux, qu’ils font copier à la demande des clients, prêts à débourser jusqu’à 90 DH pour une cassette (de préférence “chromée”) de bonne qualité.

Le début des années 1980 connaîtra l’apparition du smurf et du breakdance, mais cette mode fait long feu. Heureusement d’ailleurs… Autre son qui fait son entrée dans les mœurs des djeun’s : le reggae et son porte-drapeau, Bob Marley, dont la gloire sera essentiellement posthume. Cette décennie voit aussi le lancement de MTV et l’explosion des clips. Un virage considéré comme mortel pour les puristes de la musique.

Côté radio marocaine, le succès de la bande FM est mené par une dream team d’animateurs hors pair. Des émissions comme Boogie, animée par le légendaire Alifi Hafid, permettent aux jeunes d’être au diapason de la scène musicale américaine. Sans oublier Ali Hassan et son atypique émission Entractes, qui passait le dimanche tard la nuit. Ou encore les interminables et délirantes pop sessions de mister Saïd Fouad… Côté  télé, les premières séries américaines comme Starsky et Hutch, ou encore Deux flics à Miami, sont les seules consolations pour les jeunes.

 

Etre et paraître

A une époque où le tchat est inexistant et la mixité quasi nulle, les relations entre les deux sexes baignaient dans le flou et le compliqué. La drague se pratiquait  encore à la sauvage dans l’espace public. Pour avoir de l’intimité, filles et garçons avaient le choix entre peupler les cafés ou, dans le meilleur des cas, se bécoter dans l’obscurité des salles de cinéma. Pas terrible, hein… Et les sex symbols, alors ? Ben, pour les garçons, c’était plutôt Boy George, George Michael, Prince ou Michael Jackson.  Pour les filles, Madonna qui se tortille comme une vierge et Cindy Lauper qui ne veut avoir que du fun.

Pour avoir la cote auprès des filles, la mode n’était pas à la rébellion. Mais alors pas du tout. Il fallait être propre sur soi et avoir un peu d’argent de poche. Les amateurs de la mode Bad boy attitude n’avaient aucune chance.

Entre le spectre des années de plomb, la répression et la surveillance policière, la génération des années 1980 avait de quoi se rebeller. Malheureusement, elle ne disposait pas des outils pour exprimer sa conscience politique. Un mot revenait sur toutes les lèvres : la peur. Une peur qui commence à la maison avec les parents avant de trouver son prolongement dans l’espace public. Pour assurer le contrôle sur les esprits, la propagande et la mise en scène du culte de Hassan II se taillaient la part du lion de la production cathodique. En l’absence des chaînes étrangères, le pays ressemblait à une île coupée du monde. Même la couscoussière placée sur l’antenne de télévision pour capter les chaînes étrangères n’était pas tolérée par les moqaddems.

Dans ce climat de peur, la gauche cristallisait l’idéal de la revendication politique et les jeunes, surtout dans les grandes villes, voyaient dans les diatribes des leaders de l’USFP une alternative sérieuse qui pouvait sortir le pays du marasme économique et social. Ils découvriront, une décennie après, que cette même gauche va ruiner leurs espoirs. Paradoxalement, dans ce climat de tension politique, les maisons de jeunes et les associations culturelles tournaient à plein régime et les activités culturelles comme le théâtre, les ciné-clubs et les débats d’idées furent relativement prolifiques. Au crépuscule de cette décennie, l’islam politique confirme son émergence, à la grande déception des derniers romantiques.     

 

Conso. Des films et des muscles

C’est certainement l’une des décennies les plus riches du cinéma au Maroc, malgré le lancement de la cassette VHS. A l’exception des quelques films à succès comme Al Hal (Transes) de l’excellent Ahmed El Maânouni, les rares productions marocaines n’avaient pas la cote. C’était le temps du cinéma international, américain surtout. Avec 220 salles de cinéma, il y en avait pour tous les goûts. Les jeunes des années 1980 découvrent des films musicaux comme Hair, The Wall ou encore The Blues Brothers. Les héros s’appellent Rocky, Arnold ou Chuck Norris. Que du muscle… Dans les salles des quartiers populaires, le cinéma érotique soft fait une entrée fracassante grâce aux comédies italiennes sexy, portées par l’inoubliable faciès d’Alvaro Vitali dans La toubib du régiment. Paradoxalement, un film aussi sérieux que Le facteur sonne toujours deux fois de Bob Rafelson est classé dans la même catégorie par le public, sans doute à cause de la présence de la très belle Jessica lange, ancienne fiancée de King Kong. Les héros surnaturels sont également à la mode, comme Superman ou Conan, interprété par un Schwarzenegger qui a poussé une génération entière de jeunes garçons dans les salles de musculation.