En démocratie, un chef de gouvernement ne peut plus présider aucun parti. Ce serait indécent. Cela fait voler en éclats des concepts aussi précieux que le partage des pouvoirs et la moralisation de la vie publique. C’est un peu, toutes proportions gardées, comme un chef d’entreprise qui porte aussi la casquette de délégué syndical. Cela ne se fait pas. Il y a conflit d’intérêts. Comment voulez-vous, après, convaincre les gens de la nécessité de partager les pouvoirs ? Comment voulez-vous qu’un Premier ministre cramponné au gouvernail de son parti arrive à convaincre le roi de lâcher quelques-unes de ses prérogatives ?
Ce préalable est nécessaire pour mettre le 7ème congrès du parti islamiste dans son vrai cadre. Il faut calmer les esprits. Si le PJD conforte son rang de premier parti au Maroc, son congrès, extrêmement réussi du reste, confirme que ce n’est pas avec les islamistes que le Maroc s’inscrira dans des valeurs universelles. Le royaume boxe toujours dans la catégorie des poids plume, ceux qui ne pèsent pas bien lourd en démocratie. La preuve est faite que si la monarchie n’est guère pressée d’aller en démocratie, eh bien les islamistes non plus. Tout ce petit monde n’a pas bougé d’un iota dans sa réflexion : au lieu de changer l’existant, on préfère composer avec, dans le seul souci de tirer son épingle du jeu. Sans plus. Pour les valeurs universelles, il faudra repasser.
Mais, comme le Beaujolais, le PJD nouveau a aussi du bon. S’il ne répond pas à notre soif de démocratie, et s’il ne nous apporte strictement rien quant à la moralisation de la vie publique, le nouveau triomphe programmé de Benkirane et du PJD met tout de suite la pression sur les autres formations politiques. Il y a l’Istiqlal. Le vieux parti fondé par Allal El Fassi a tenu son congrès à l’ombre du PJD mais, contrairement à ce dernier, il n’arrive pas à élire son nouveau “président”. L’Istiqlal hésite entre deux candidats : Abdelouahed El Fassi, fils de Allal, personnage sympathique au demeurant, mais au charisme proche du néant, et Hamid Chabat, fils de personne mais maire de Fès, un personnage bruyant, turbulent, mal aimé des élites mais proche du peuple. Que faire ? Le dilemme de l’Istiqlal n’est pas anecdotique. On parle d’un parti historique, puissant, bien implanté sur le terrain, et qui a toujours compté dans la vie politique du royaume. L’Istiqlal est aux antipodes d’un parti démocratique. Il fonctionne par cooptation et repose sur un gigantesque réseau familial, celui des El Fassi. Jusqu’ici, il s’est toujours accommodé de cet anachronisme digne de l’ère médiévale. Aujourd’hui il s’interroge. S’il continue dans la même voie, donc en plébiscitant Abdelouahed El Fassi, il risque de céder le label “premier parti de droite” au PJD. S’il joue le jeu de la démocratie, il ouvre la porte à Hamid Chabat, capable, dans le même temps, de contester la suprématie islamiste sur le terrain…et de couper l’Istiqlal de ses élites.
Tenir les foules et séduire les élites, c’est un peu le pari tenté et réussi par les islamistes. C’est ce qui fait aujourd’hui du PJD le premier parti de droite au Maroc, grignotant au passage une partie de l’électorat istiqlalien. Pour pouvoir exister, l’Istiqlal est aujourd’hui obligé de “faire quelque chose”. Avec un El Fassi de plus, rassurant mais peu séduisant, ou un Chabat populaire mais incontrôlable ? Le parti tranchera la question à la rentrée et l’enjeu est de taille : le contrôle de la droite. Dans un pays ultraconservateur comme le Maroc, dominer la droite revient à siéger au gouvernement ou à s’asseoir au premier rang des alliés de la monarchie. Le PJD a pris une longueur d’avance. Avec de l’audace et de l’imagination, les héritiers de Allal El Fassi ont encore la possibilité de combler leur retard.