Mexique. Le retour de la “dictature parfaite”

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Avec la victoire d’Enrique Peña Nieto aux présidentielles, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) -à la tête du pays de 1929 à 2000- revient au pouvoir. La gauche, les étudiants et les observateurs dénoncent un scrutin marqué par des fraudes massives. Le point.

“L’élection du 1er juillet a été la plus sale et la plus inéquitable de l’histoire du Mexique”. Ce n’est pas la réaction amère d’un vaincu, mais l’analyse objective de David Recondo, chercheur à Sciences Po Paris. Détaché depuis quatre ans au Collège de Mexico, ce politologue a suivi de très près le processus électoral. Et son verdict est sans appel : le récent scrutin présidentiel n’a été ni juste, ni transparent. Officiellement, le candidat du PRI, Enrique Peña Nieto, a remporté cette élection en un tour avec 38,21% des suffrages, devant son adversaire de gauche Andrés Manuel López Obrador (31,59%) et la candidate conservatrice Josefina Vázquez Mota (25,41%).  Mais pour beaucoup, le futur président —il prendra ses fonctions le 1er décembre— ne doit sa victoire qu’à la fraude massive orchestrée par son parti.

Le volet principal de cette fraude présumée concerne l’achat de voix, une vieille tradition au Mexique. Dans un pays où près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, acheter les faveurs des électeurs est en effet monnaie courante, en particulier dans les zones rurales. Le prix à payer ? Un panier de nourriture, l’équivalent de quelques centaines de dirhams ou la promesse de réparer un toit ou une route.

Cinq millions de votes achetés ?

Plusieurs semaines avant le scrutin, de nombreux témoignages à la télévision et sur Internet alertaient déjà sur ces achats de vote, organisés le plus souvent par le PRI. Une fois l’élection passée, les plaintes sont devenues plus précises. Le coordinateur de campagne de López Obrador a ainsi accusé le PRI d’avoir distribué aux électeurs 4 millions de bons d’achat pour une chaîne de supermarchés, afin de se garantir des votes favorables dans tout le pays. Pour étayer ses accusations, la gauche affirme avoir en sa possession de nombreuses vidéos montrant des centaines de personnes accourant dans ces magasins pour réclamer leur dû.

Au total, combien d’électeurs ont ainsi été achetés ? Sans doute un sur dix, estime l’hebdomadaire Proceso. Soit environ cinq millions de personnes. Pour López Obrador, distancé d’un peu plus de trois millions de voix, cela prouve que la victoire lui a été volée. Son équipe a d’ailleurs déposé un recours légal pour réclamer l’annulation pure et simple du scrutin. En théorie, l’achat de votes est une cause de nullité de l’élection. Mais encore faut-il pouvoir en apporter la preuve. “Pour espérer annuler le scrutin, il faut démontrer que l’achat de votes a eu lieu dans au moins 25% des bureaux de vote et que cela a modifié l’écart entre le premier et le second. C’est très compliqué”, explique David Recondo. “Aucun média n’a pu pour l’instant prouver, document en main, l’achat de votes, parce que le PRI, fort de ses 70 ans d’expérience au pouvoir, sait comment s’y prendre sans laisser de traces. Au PRI, ils sont corrompus, mais pas stupides”, ajoute Proceso. Pour beaucoup d’observateurs, il faut s’attendre dans les prochaines semaines à une avalanche de contestations légales, dont les chances de succès sont cependant très minces.

Manipulation médiatique

Favorisé dans les urnes, Peña Nieto a également bénéficié d’un soutien sans faille des grands médias du pays, au premier rang desquels Televisa, la principale chaîne de télévision. Un soutien à prix d’or : selon une enquête du quotidien britannique The Guardian, Televisa aurait perçu plusieurs dizaines de millions d’euros pour construire une image favorable de Peña Nieto, d’abord comme gouverneur de l’Etat de Mexico, puis comme candidat à la présidentielle. Ces contrats, signés dans le plus grand secret dès 2005 et dont les montants dépassent largement les frais de campagne autorisés, avaient aussi pour vocation de torpiller le leader de la gauche. Cette connivence ancienne entre Enrique Peña Nieto et Televisa a été l’un des principaux détonateurs de la colère des étudiants mexicains. Début mai, ils se sont rassemblés par milliers au sein du mouvement “Yo soy 132”. Leur mot d’ordre : non à l’imposition d’un candidat par le système médiatique. Et surtout, non au retour du PRI !

Inclassable sur un échiquier politique, le Parti révolutionnaire institutionnel est un concept en soi. Un système politique à part entière, qui a gouverné le pays de 1929 à 2000 sur fond de violence, de corruption et de clientélisme. En 1990, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa déclarait : “La dictature parfaite, ce n’est pas le communisme, l’URSS ou Fidel Castro. La dictature parfaite, c’est le Mexique, parce que c’est la dictature camouflée d’un parti inamovible”. Une dictature déguisée en démocratie.

En 2000, le PRI a certes été délogé de la présidence par la droite de Vicente Fox. Mais en réalité, il n’est jamais vraiment parti. Il conserve la majorité au parlement et gouverne vingt des trente-deux Etats du pays. Le voilà aussi, désormais, de retour au sommet de l’Etat. “Nous avons changé”, répètent en chœur les responsables du PRI, sans franchement convaincre. “C’est le même parti autoritaire qui a réprimé les manifestations étudiantes de 1968, faisant plus de 300 morts, s’emporte Sandra Patargo, l’une des fondatrices du mouvement Yo soy 132. C’est le même parti corrompu, soutenu par les grands médias, comme l’élection du 1er juillet l’a encore  montré”.

Un pacte avec les cartels ?

Quoi qu’il en soit, Enrique Peña Nieto aura bientôt la lourde tâche de diriger le Mexique jusqu’en 2018. Son principal défi : enrayer la spirale de violence née de la guerre contre la drogue déclarée par le président sortant, Felipe Calderon, et qui a fait plus de 55 000 morts depuis 2006. “Je réaffirme l’obligation de l’Etat mexicain de combattre le trafic de drogue, mais nous avons désormais un autre problème qui, pour moi, est prioritaire : celui de la violence”, a déclaré le futur président. Officiellement, pas question de négocier avec les cartels, ce que le PRI est soupçonné d’avoir fait pendant des décennies pour pacifier le trafic. Les experts estiment toutefois que des discussions vont s’ouvrir. “Le PRI va sans doute relâcher la pression sur les cartels les moins violents, ceux qui se consacrent au trafic de drogue. A l’inverse, il va se montrer plus dur avec les groupes criminels qui pratiquent aussi le racket ou les enlèvements. L’idée générale serait de conclure un pacte de non-agression pour éviter les répercussions sur la population civile”, conclut David Recondo.

 

Parcours. Le visage moderne d’un vieux parti

À 45 ans, Enrique Peña Nieto est le plus jeune président élu des Amériques. Avec ses cheveux gominés et son physique d’acteur hollywoodien, il incarne l’image jeune et dynamique que le vieux Parti révolutionnaire institutionnel veut afficher. Né dans une petite ville de l’État de Mexico, base d’un important groupe de pouvoir au sein du PRI, Peña Nieto a entamé sa carrière aux côtés de son oncle Arturo Montiel, gouverneur de l’Etat de Mexico. Après avoir été son conseiller, puis député, il est devenu à son tour en 2005 gouverneur de cet Etat, le plus peuplé du pays. Marié –en secondes noces- à une actrice de telenovela, il a cultivé pendant des années son statut de présidentiable, n’hésitant pas à débourser des millions de dollars pour se forger une image favorable dans les médias. Pour beaucoup de ses détracteurs, cependant, Peña Nieto incarne les pires défauts du PRI : autoritarisme, corruption et incompétence. Invité d’un festival du livre, fin 2011, il a été incapable de citer trois livres ayant marqué sa vie, à l’exception de la Bible. Ce qui lui a valu cette critique féroce de l’écrivain mexicain Carlos Fuentes (décédé le 15 mai dernier) : “Compte tenu de son ignorance, cet homme n’a pas le droit d’être président du Mexique”. Enfin, les étudiants accusent Peña Nieto d’avoir ordonné la répression violente d’un conflit social à Atenco, en 2006, lorsqu’il était gouverneur de l’Etat de Mexico. L’intervention brutale de la police avait provoqué la mort de deux personnes et une vingtaine de femmes avaient été agressées sexuellement.

 

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