Dans une semaine, le PJD aura un nouveau secrétaire général. Qui ? Abdelilah Benkirane. Comme le Maroc n’est pas une démocratie, aucune loi n’interdit à un chef de gouvernement de présider un parti politique. Abbas El Fassi a bien conduit l’Istiqlal tout en conduisant le gouvernement, Abderrahmane Youssoufi aussi, sans parler de Ahmed Osman, Maâti Bouabid, etc. Alors pourquoi pas Benkirane ? Il ne le mérite pas moins que les autres, pour peu que ses frères au PJD soient d’accord pour le plébisciter une deuxième fois, après 2008. Dans une démocratie, et quand bien même les lois lui laisseraient une certaine marge de manœuvre, un chef de gouvernement aura toujours la décence de se retirer des affaires de son parti : parce qu’il n’a pas le don de l’ubiquité et ne peut tout assumer et tout gérer à la fois ; et puis parce qu’il faut bien préparer la relève et qu’il n’y a qu’un seul moyen de le faire : céder sa place. Oublions tout cela, nous sommes au Maroc, et si le PJD est une démocratie, il l’est à la marocaine. C’est-à-dire avec le culte du chef-roi, et le complexe du père que l’on ne tue pas parce que cela ne se fait pas.
Maintenant, le traditionalisme marocain n’est pas la seule raison qui reconduira Benkirane à la tête du PJD. L’honnêteté intellectuelle nous oblige, à notre tour, à nous rendre à l’évidence. Benky, comme on l’appelle malicieusement, est bien l’homme de la situation. Il n’a pas de concurrent à sa dimension et ses principaux rivaux sont ses alliés et compagnons d’arme, Abdellah Baha en tête. Il n’a rien à craindre d’eux puisqu’ils espèrent tous continuer de grandir dans son ombre, dégagés de toute pression inutile. Benkirane se positionne, à la manière d’un Abdelkrim Khatib en son temps, comme la figure tutélaire de l’islamisme à la marocaine. Celui de la conciliation politique avec le Palais, un islamisme bon à haranguer les foules et à couper l’élan à toute avancée moderniste. Un islamisme du juste milieu, qui fleure bon le terroir, celui de la majorité, pas frondeur, capable de solliciter la puce “islamiste mais pas extrémiste” qui sommeille en chacun de nous. Benkirane incarne tout cela depuis son arrivée à la tête du parti, ensuite du gouvernement. Il est, selon la formule consacrée, une bête politique doublée d’une bête médiatique. Sa bonhomie et son entrain ne sont pas feints, mais ils ne masquent pas l’essentiel : aussi bien à l’intérieur du PJD que vis-à-vis de la monarchie, Benkirane est celui qui peut, en ces temps dits de crise, faire avancer le Schmilblick. Il fait et continuera de faire, au moins pour un moment, l’objet d’un double consensus, parmi ses frères et aussi chez certains de ses adversaires dans le cercle royal.
Et puis je vois mal le PJD bouleverser son plan d’attaque en écartant Benkirane. Non. Pas encore. Les islamistes ne sont pas mécontents de leurs six premiers mois au gouvernement. Ils n’ont pas déçu leur électorat de base, je ne crois pas. Et s’ils ont perdu des électeurs occasionnels, ils en ont recruté d’autres, tout aussi conjoncturels. Le PJD avance lourdement mais sûrement vers la deuxième étape de sa stratégie, moins spectaculaire mais plus décisive : le contrôle des communales via les élections locales qui auront lieu en 2013. Tant que cet objectif n’est pas atteint, on va tous devoir faire avec notre ami Benkirane…que l’on aime bien même si lui, en ce qui le concerne, refuse désormais de répondre à ceux qui ne le caressent pas dans le sens du poil. Un symptôme, sans doute, du chef-roi qui n’écoute que ses laudateurs.
PS : je tiens à remercier, au nom de toute l’équipe de TelQuel, les nombreux témoignages d’amitié qui nous sont parvenus après la publication de notre dossier “Ces Marocains qui disent Non”. La route qui nous mènera vers l’émergence et la reconnaissance de l’individu sera longue et difficile, mais on la fera ensemble. Inchallah.