Messieurs les directeurs de nos chaînes de télévision nationales, bonjour, je me présente, je suis Zakaria Boualem. Hamdoullah ça va. Je travaille dans l’informatique bancaire casablancaise, ce qui est un peu une triple punition, là n’est pas la question mais c’est gentil de demander. Je vous écrits donc un peu en avance parce que je sais que vous êtes très organisés tbarkellah alikoum. Il ne vous aura pas échappé, à vous qui êtes à la pointe de l’actualité, que le ramadan se pointe dans trois semaines. Si je me permets de vous interpeller pour vous faire part de mes souhaits à l’occasion du mois sucré, c’est parce que la situation est dangereuse. Oui, le mot n’est pas trop fort. Depuis qu’on nous a expliqué dans les colonnes d’un quotidien respectable que le TGV était une affaire de cohésion nationale, je ne vois pas pourquoi je me retiendrais d’affirmer qu’un ramadan en pleine canicule est un danger pour la stabilité sociale, et merci. Je fais donc appel à votre sens des responsabilités pour éviter de nous énerver. Je vous entends répondre : mais vous croyez que c’est facile de faire rigoler les Marocains en évitant la religion, le sexe et le pouvoir, il ne nous reste plus que les belles-mères qui braillent et les chutes dans les escaliers avec des rires enregistrés pour signaler quand le comique intervient. Vous avez parfaitement raison, mais je répète que personne ne vous demande de nous faire rigoler, juste de ne pas nous énerver. C’est qu’il règne à ce sujet un terrible malentendu : qui a décrété que le ramadan était la saison du rire ? Quand cette terrible méprise a-t-elle démarré ? Et pourquoi tout le monde trouve ça normal ? Est-il possible s’il vous plaît de mettre fin à cette ambition démesurée ? Donc ne pas nous énerver, c’est tout ce qu’on vous demande. Pas de nous divertir, de nous informer, de nous éduquer, laissez tomber. Pardon ? Oui, vous avez raison, je ne suis pas obligé de regarder, je peux zapper. Mais il se trouve que pour une raison indépendante de ma volonté, je participe au financement de vos institutions respectives. Je vous promets que si vous mettez fin à cette anomalie, vous n’entendrez plus parler de moi. En attendant, je m’exprime, et vous devrez écouter. Ce n’est peut-être pas très agréable mais ça durera au maximum dix minutes, alors que vos programmes ne s’arrêtent jamais. Donc, s’il était possible de la mettre en veilleuse un peu sur les refrains chaâbistériques qui nous supplient d’acheter un détergent ou une peinture, ça serait sympa aussi, vraiment. J’ai un peu de mal à expliquer à mes amis étrangers que le ramadan est le mois de la spiritualité et du recueillement quand je vois débarquer sur mon écran des animaux en 3D déguisés en 3bidat rma qui multiplient les rimes charcutières… Non, allez-y carrément et ramenez nous la techno marocaine, al 2ala… Je ne suis pas trop fan mais comme musique digestive, ça fait son boulot. Une harira sur fond de soleil de l’après-midi et de petit ghouziyal, ça a un peu de dignité, convenez-en. Voilà. Autre chose, est-ce que vous pourriez baisser le son juste après le f’tour ? Le problème doit venir de chez vous, je pense, parce que même au minimum chez moi, je continue à vous entendre dans la tête, sans savoir si c’est l’effet de l’hypnose ou la télé des voisins. J’ai un jour eu affaire à un producteur de télé qui partageait à peu près mes pensées sur la qualité de ce qu’on nous proposait mais qui ajoutait avec cynisme que c’est “ce que les Marocains aiment”. Ok, c’est cool, on nous donne ce qu’on aime, c’est bizarre parce que c’est pas vraiment ce qui transpire de la programmation générale, mais bon, soit. Dans ce cas, allez-y carrément : les Marocains aiment se battre pendant le ramadan, ils aiment aussi regarder les accidents de voiture et, c’est bien connu, ils aiment aussi insulter les jeunes filles. Il n’y a pas moyen de capitaliser sur ces nobles activités pour quelques émissions pleines d’amour ? Avant c’était clair : nous avions des télés de propagande, des générateurs d’anesthésiant puissant et ciblé. Aujourd’hui, c’est une télé de propagande et de vente de lessive, je ne suis pas sûr que ce soit mieux. Voilà, messieurs, vous êtes prévenus, la stabilité du pays est entre vos mains, l’histoire vous regarde, et merci.