Radio Mohammed VI pour le Coran, qui prêche la bonne parole jour et nuit, cartonne en audience. Visite des coulisses d’une station halal.
Numéro 1 rue El Brihi, Rabat. Nous sommes au siège de la vieille dame de la capitale : la Société nationale de radio et télévision (SNRT). Précisément dans l’aile réservée à la radio Mohammed VI pour le Coran, alias Assadissa, la 6, Radio Coran… Dans le hall, le tableau d’affichage est orné de coupures de presse à la gloire de la station. Le Centre interprofessionnel de mesure d’audience radio (CIRAD) vient de classer cette chaîne, première fréquence du royaume avec une part d’audience de 15,3%. Ce qui représente pas moins de 3,7 millions d’auditeurs par jour entre janvier et mars 2012. “Nous sommes là pour vulgariser l’islam du juste milieu et le rite malékite auprès du public le plus large possible”, nous explique Abdeslam Zyane, le chef des programmes de la station. Pour lui, les chiffres d’audience n’ont rien de surprenant : “Ils ne font que confirmer la forte demande des auditeurs d’un contenu religieux à la marocaine”.
Religion à la carte
Au-delà du caractère purement religieux, Assadissa fait aussi dans la sensibilisation et le conseil. L’une des émissions phares de la station —son morning diffusé entre 6h et 8h— “Sabah sa3id” (bonjour), est déclinée en plusieurs capsules abordant toutes sortes de thématiques : rapports sociaux, santé, environnement… Autre prime time de la station, “Yass’alounek” (ils t’interrogent) diffusé chaque jour à 19 h. Ce programme interactif, animé chaque fois par un alem différent, est cautionné par le Conseil supérieur des ouléma. “Tant mieux si l’on arrive ainsi à éloigner les gens de la pagaille des fatwas diffusées par les chaînes du Machreq”, lance un journaliste de la 6. “Nous faisons aussi dans la pédagogie et dans la proximité afin de préserver notre identité et notre histoire”, renchérit Abdeslam Zyane. Exemple : chaque vendredi, une équipe est dépêchée dans une ville du royaume pour transmettre en direct la prière de la joumou3a. Mais avant, le prédicateur du jour est invité à parler du sujet de son prêche, il raconte aussi les ouléma qui ont marqué sa région ou évoque les principaux monuments (mosquées essentiellement) du coin. Bref, une sorte de “pré-salate al joumou3a” qui tient les auditeurs en haleine et enregistre des pics d’audience… Si l’essentiel de la grille est en arabe classique (avec une bonne place pour l’amazigh), Assadissa diffuse aussi des programmes en langues étrangères : une dizaine de minutes par jour à expliquer les hadiths en anglais ou en français. Le Coran et les chants religieux servent de jingles pour entrecouper les émissions dans cette station où la publicité est interdite. En revanche, le cahier des charges impose à la station de réserver 50% de son temps d’antenne au Livre Saint. A partir de minuit et jusqu’à 6 h du matin, place aux rediffusions. Ce sont ses Best Of qui permettent à la radio de transmettre 24h/24.
Profession de foi
Car Assadissa dispose de très peu de moyens. “Nous comptons sur les infrastructures de la radio nationale, qui ne manque pas de nous donner un sérieux coup de main en mettant à notre disposition un grand studio d’enregistrement et des stations régionales”, affirme un responsable de cette station que tout le pôle public semble avoir adoptée depuis sa naissance, le 16 octobre 2004. D’ailleurs, Assadissa ne produit pas de bulletins d’information, mais reprend les trois principales éditions de la radio nationale. De son côté, l’équipe est constituée de tout juste une trentaine de salariés. Une équipe réduite, mais fortement motivée à en croire les responsables. “La majorité des cadres ont passé de longues années à la radio nationale ou dans les stations régionales, avant de choisir par eux-mêmes de rejoindre cette station”, souligne Khalid Bellout, du service de programmation. “La particularité ici, c’est que la plupart d’entre nous sont convaincus de faire une bonne action, pas seulement un travail”, ajoute Abdeslam Zyane, qui a roulé sa bosse à la SNRT pendant plus de 30 ans. Et dans la radio religieuse officielle, on a pris les mesures nécessaires pour prévenir tout risque de dérapage. “Tous les contenus sont soumis à un comité scientifique constitués de plusieurs membres du Conseil supérieur des ouléma, qui donnent leur feu vert ou demandent d’apporter des rectifications”, répond un responsable d’Assadissa. Peut-on entendre, un jour, le sulfureux prédicateur Abdelbari Zemzmi ou Mohamed Maghraoui sur les ondes de la 6 ? Lorsqu’on l’interroge, notre interlocuteur part d’un grand rire. Car ici, nous sommes au pays de l’islam modéré. D’ailleurs, dans les couloirs de la radio, aucun risque de croiser un journaliste ou un technicien habillé à la mode taliban. Foulards de couleurs pour la majorité des femmes et éventuellement, une petite barbiche pour les hommes… Voilà les limites officieuses du look toléré chez SNRT – Coran. Deux autres particularités de l’équipe de la radio : tous ses membres sont des syndicalistes chevronnés de la SNRT et tous sont… non fumeurs. “On n’avait que deux fumeurs dans toute l’équipe, mais ils ont fini par arrêter. Il y a le facteur de l’âge, et aussi le fait d’être convaincus du contenu transmis aux gens”, explique un journaliste.
Plus de moyens, inchallah !
Le fait qu’Assadissa soit aujourd’hui la première station du pays changerait-il la donne ? “Nous l’espérons, d’autant que les résultats sont là et nous comptons continuer à travailler avec la même persévérance pour maintenir la barre très haut”, affirme un journaliste. Dans les coulisses, on susurre que le Palais n’a pas caché sa satisfaction de voir la radio Mohammed VI caracoler en tête du podium de la bande FM. Il serait même question de doter la station de nouveaux locaux et d’équipements plus sophistiqués. Et, surtout, de recruter des cadres supplémentaires, d’autant qu’Assadissa a pris sur elle de couvrir les activités, entre autres, de pas moins de 81 conseils locaux de ouléma. En attendant, la radio s’apprête à relever un autre défi : diffuser 24 heures sur 24 sur tout le territoire. Actuellement, elle ne le fait que sur Casablanca, Rabat et Laâyoune. Dans les autres villes, elle cède sa fréquence aux stations régionales entre 8 et 14 h. “Le problème sera résolu dans quelques mois, quand ces radios auront leurs propres émetteurs”, conclut un responsable d’Assadissa. En gros, la religion continuera de faire le bonheur des auditeurs de cette radio qui porte le nom du Commandeur des croyants…
Histoire. Un projet royal Assadissa a une histoire particulière. S’il existait bien une “Radio Coran” avant, sa diffusion était destinée à la seule ville de Rabat. Au début du règne de Mohammed VI, l’idée d’une radio religieuse a commencé à germer. Mais les attentats du 11 septembre 2001 viendront mettre en veilleuse le projet. C’est M’hamed El Boukili, alors directeur général de la Radio nationale, qui reprendra le projet plus tard et travaillera de longs mois, en catimini, avec le ministère des Affaires islamiques. Le Palais, satisfait du résultat, a alors donné sa bénédiction et Mohammed VI a même tenu à donner son nom au “nouveau-né”. El Boukili, qui s’est consacré par la suite au “pôle” religieux de la SNRT, cédera la place à un autre vieux routier de la radio : Driss Alhyane. Une radio “sacrée” ? La question fait sourire les cadres d’Assadissa. “On est une radio du service public, c’est tout”, répond un des dirigeants. |