Il est profondément rassurant, dans ce monde en mouvement, secoué par les tourments d’une actualité frénétique, de noter que certaines constantes sont là pour nous servir de repères. C’est ainsi que les joueurs de notre glorieuse équipe nationale, à la suite d’un match lamentable en Gambie, nous ont expliqué qu’ils avaient été victimes de la terrible trilogie chaleur/terrain/arbitrage. Plus clairement, et ils n’ont aucun complexe à l’affirmer avec leur front rouge, nous sommes victimes de “l’Afrique”. La plupart des déclarations de ces joueurs, placées dans la bouche d’un Européen après le même match, déclencheraient des kilomètres d’indignation, mais chez nous, tout le monde trouve ça normal. Zakaria Boualem ignore par quelle mystérieuse hypnose collective nous en sommes arrivés à nier une réalité géographique aussi incontestable… Il faut donc la rappeler : le Maroc est un pays africain. Voilà. Il faut aussi préciser que l’Afrique n’est pas un continent homogène, que la Tanzanie n’est pas le Gabon qui n’est pas l’Afrique du Sud, et qu’il existe un nombre non négligeable de pays africains qui affichent un taux d’alphabétisation supérieur au nôtre. Ajoutons également qu’une bonne partie des rythmes marocains qui nous plongent en transe (chaâbi, soussi, gnawi) vient d’Afrique de l’ouest.
Mais pour s’en rendre compte, il faut un minimum s’intéresser au sujet. Ce n’est pas le cas de nos footballeurs et encore moins de leurs dirigeants. Pour une bonne partie de nos compatriotes, l’Afrique est un trou noir, une vaste étendue floue qu’ils désignent sous le vocable de adghal : la jungle. Ils s’imaginent être reçus à l’aéroport par un gnou qui tamponnera leur passeport, juste avant de basculer dans une forêt urbaine humide ou, s’ils échappent par miracle aux cannibales, c’est pour se faire dévorer par un crocodile tapi à l’arrière du taxi. Ils sont même convaincus d’être blancs, les malheureux. Lorsque nos footballeurs vont en “Afrique”, c’est en se bouchant le nez, à contrecoeur, contraints de s’abaisser à un rang qui n’est pas le leur. Le Maroc est donc africain par hasard, tout le monde sait qu’il aurait dû être une île.
Bon, au fait, le Real et le Barça vont apparemment jouer à Tanger contre, respectivement, le MAT et une étrange “sélection marocaine coachée par Taoussi”. Oui, tous les deux à quelques jours d’intervalle et dans le même stade de Tanger, qui est une sorte de nouveau Marrakech. Il existe donc une sorte de règle occulte qui exige qu’on joue les matchs de gala et ceux de la sélection partout sauf à Casablanca, qui est une sorte de adghal marocaine. Il paraît même qu’ils vont en profiter pour faire le jubilé de Dolmy à l’occasion du match du Barça. Zakaria Boualem prend des précautions de langage, parce que ces matchs sont entourés d’un épais mystère… Rappelons à nos plus jeunes lecteurs que Dolmy était un authentique héros du foot marocain, une sorte de croisement entre Bob Dylan et Neeskens. L’homme a la particularité d’avoir effectué toute sa carrière à Casablanca, et on va lui rendre hommage à Tanger. Normal… A ceux qui vont répondre “et alors, Tanger n’est pas au Maroc, peut-être ? Et Dolmy appartient à tous les Marocains, non ?…” (oui oui, ils existent), Zakaria Boualem souhaite poser la question : à votre avis, où va se dérouler le jubilé de Raul ? A Madrid ou à Malaga ? Il est très probable qu’ils trouvent la bonne réponse mais, comme c’est le cas très souvent, ils plantent lorsqu’il s’agit d’appliquer chez nous la même logique. D’autres vont expliquer qu’il vaut mieux faire le jubilé de Dolmy à Tanger que de ne pas le faire du tout, et il faut reconnaître qu’ils tiennent là un vrai argument. Nous avons donc le choix entre rien et n’importe quoi, ce qui est un bon résumé de notre situation générale… Il va se trouver également de tristes sires, désignés ici sous le terme de nihilistes, qui vont se demander avec suspicion d’où vient l’argent qui va payer ce Real et ce Barça, qui ne se déplacent pas pour la beauté de la nouvelle Constitution. Zakaria Boualem n’a pas de réponse mais il imagine qu’on a trouvé du pétrole à Tanger, juste au-dessous du stade, et qu’on ne veut pas nous le dire pour pas qu’on se laisse aller. Mais comme ils sont sympas, ils veulent quand même nous faire plaisir, et merci.