En choisissant de ne pas voter islamiste, les Algériens viennent à leur manière de mettre fin à une certaine idée du Printemps arabe. C’est un point d’inflexion qui risque de réorienter la destinée des pays arabes. Mais pas forcément dans le bon sens…
Depuis janvier 2011, nous étions installés dans une seule et même dynamique : renversons les dictatures arabes et remplaçons-les par les islamistes. Alger a cassé cette logique. Dans un sens, nous pouvons dire merci au peuple algérien parce que, in fine, il vient de remettre l’islam politique à sa place et ce n’est pas forcément là où on pense. L’islamisme n’est pas une fatalité arabe, il n’est pas non plus une finalité mais simplement une possibilité, un moyen, pense-t-on, pour aspirer au mieux. Certains l’adoptent comme passerelle (cas de la Tunisie, de l’Egypte et, à un moindre degré, du Maroc), d’autres pas. Il faut dire que l’Algérie avait un peu essayé la solution islamiste avant tout le monde et cela lui a valu une guerre civile et un incroyable bain de sang. Le peuple a dû se dire, en se rendant la semaine dernière aux urnes : tout sauf ça. Il a choisi le “tout” au lieu de “ça”. Et ce “tout”, eh bien, il s’appelle le FLN, vieux parti par lequel l’indépendance est arrivée, un demi-siècle auparavant.
C’est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant du moment que l’islam politique n’apparaît plus comme étant LE remède arabe par excellence et qu’il devient possible d’échapper au raz-de-marée islamiste. Inquiétant puisqu’il est tout de même difficile de faire du neuf avec de l’ancien. Voyons, que s’est-il exactement passé en Algérie ? Le peuple n’a pas choisi Dieu mais les “vieux”. On ne peut pas appeler cela du renouveau. Il n’y a pas eu de rupture mais une continuation et une reprise du fil de l’histoire. Revenir au statu quo initial fait office, ici, d’alternative. Et c’est cela, précisément, qui inquiète quant à l’avenir non seulement de l’Algérie mais du Maghreb et de tout le monde arabe.
Nous sommes entre le marteau et l’enclume. Ou on se tourne vers Dieu ou on relégitime le pouvoir en place. Cela fait deux valeurs-refuges et deux cocons qui reproduisent à l’infini l’immuabilité de la société arabe. Ce schéma renvoie, toutes proportions gardées, au clivage gauche-droite ou modernisme-conservatisme en vigueur en démocratie occidentale. Version arabe, et cela peut surprendre, Dieu représente le neuf, il est la voie du progrès et du renouveau. Quant à la relégitimisation du pouvoir, elle traduit le choix de la stabilité. Bien entendu, ce modèle défie toutes les grilles de lecture et d’interprétation universelles. Il déçoit. Il incarne l’exception arabe et exclut, pour le moment, toute notion de gauche ou de modernisme considérées comme des greffes occidentales et jugées, de facto, d’une manière péjorative.
Même s’il a connu des expériences socialisantes, le monde arabe vit “en droite”. Et il ne peut, en l’état actuel des choses, proposer que des alternatives de droite. Il opère plus par volte-face et sautes d’humeur que par ruptures profondes, réfléchies, durables. C’est une forme d’autarcie de laquelle il n’est pas prêt d’émerger. Les élections algériennes viennent de nous le rappeler. Elles ont fait barrage à l’avancée des islamistes mais sans rien nous proposer à la place.