Bon, ce qui devait arriver est enfin arrivé. Ca s’est passé un dimanche, discrètement, vers 17 h. Zakaria Boualem a éteint sa télé, puis l’a rallumée à la recherche d’un reportage animalier sur les reptiles, avant de l’éteindre de nouveau… Il est sorti de chez lui prendre un café. Devant son demi-demi, il a réalisé qu’il ne sentait rien de spécial : il était anesthésié. Il a regardé passer des Rajaouis qui sortaient du stade, tellement abattus qu’ils n’avaient pas la force de casser quoi que ce soit. Un instant, il s’est demandé quelle extraordinaire péché ce peuple était occupé à expier en ce moment précis, il n’a pas trouvé de réponse satisfaisante. Il y a moins d’un an, ce club fêtait son dixième titre de champion et sa qualification en quart de finale de la Ligue des Champions, la première depuis presque dix ans. Le bonheur et l’espoir de retrouver la gloire des joutes africaines régnaient, les oiseaux chantaient les exploits de Metoualli et les bisous pleuvaient du ciel. L’été qui a suivi a été un long cauchemar. L’entraîneur plie ses bagages, l’équipe est grotesque en Ligue des Champions et sort lamentablement au premier tour de la Coupe du trône. Pire encore, un joueur décède sans que l’on sache exactement de quoi. Chez nous, on préfère les hommages aux enquêtes, c’est comme ça… Les dirigeants se mettent alors à recruter à peu près n’importe qui, et cette équipe finit par entrer dans l’histoire en encaissant un retentissant cinq à zéro au Ghana. Font-ils leur autocritique ? Jamais, c’est un principe. Ils accusent l’arbitrage, le terrain, le manque de chance, le complot éternel et la descente aux ténèbres s’achève dimanche avec ce derby dont l’indigence technique aurait pu faire passer les agitations de Zakaria Boualem le dimanche à la plage pour une demi-finale de Ligue des Champions. Voilà. Un spectacle tellement pauvre que notre héros a même espéré qu’un but miraculeux ne vienne pas faire passer la pilule de l’amère réalité de notre niveau. Nous sommes dans l’imposture footballistique. Au milieu de tous ces malheurs rajaouis, notre glorieuse équipe nationale nous a offerts la prestation la plus naze qu’on puisse imaginer en Coupe d’Afrique, assortie d’une interview historique du sélectionneur, qui expliquait qu’on ne devait pas s’inquiéter de son salaire puisqu’il allait servir à monter un projet qui donnerait du travail à des Marocains. Et merci. La solution est elle le hrig footballistique, faut-il faire comme tout le monde et s’engueuler sur le Real et le Barça ? Mais ne soyons pas nihilistes, notre football se développe, les stades poussent partout et les oiseaux chantent les exploits de nos bâtisseurs héroïques. On a ainsi construit à Tanger un stade où personne ne joue, et à Marrakech un autre qui n’est pas utilisé par le club local. A Rabat, un autre tout neuf est inutilisé lui aussi. Heureusement qu’il y a celui de Fès, achevé après vingt ans de travaux… Le président du MAS a expliqué cette saison qu’il était prêt à payer de sa poche pour pouvoir retourner dans l’ancien. C’est donc un grand chelem extraordinaire : tous ces stades ont été mal conçus. Même en faisant les choses au hasard, on aurait pu tomber sur de bonnes idées. Si Zakaria Boualem vous casse la tête avec le foot, c’est juste parce qu’il est convaincu qu’il est à l’image de ce qui se fait dans les autres secteurs de notre pays. Mais, bizarrement, on continue à espérer de notre football des choses qu’on attend plus de notre éducation nationale ou de notre système de santé, c’est un paradoxe extraordinaire. Le foot est un révélateur de notre société, où le bricolage est une stratégie, où les six mois sont du long terme et l’accusation de traîtrise le meilleur moyen de faire taire les opposants. De temps en temps, quand tout va mal, on en appelle à l’union sacrée : il faut se souder autour du club, ce n’est pas le moment de grogner. Zakaria Boualem ne peut pas grogner quand il considère que tout est fait de travers, il n’a pas envie de grogner quand on gagne. Il souhaite donc poser la question : quand donc est-il autorisé à donner son avis ? Pas maintenant, nous sommes en phase de transition, il ferait le jeu des clubs concurrents… ça ne vous rappelle rien ? Zakaria Boualem vous le disait, ça ne sert à rien d’essayer de comprendre tout ce qui se passe : il suffit de regarder notre football. Et merci.