Internet. Je clique donc je suis

Par Omar Radi

Nos compatriotes passent de plus en plus de temps à naviguer sur la Toile. Quels sont les sites les plus visités ? Quels sont les thèmes qui les interpellent ? Zoom sur les habitudes des internautes marocains.

N’en déplaise aux amateurs de vie au grand air, la déferlante Internet est aujourd’hui plus puissante que jamais. Partout, aux quatre coins de la planète, cette vague touche chaque jour plus de personnes, faisant de cet outil un élément fondamental de leur existence. Et si certains pouvaient en douter auparavant, cette dernière année —marquée par le Printemps arabe et son cortège d’évènements durant lesquels le Web a joué un rôle incontestable— a démontré tout le pouvoir de la Toile.

Désormais, on ne compte plus les heures passées devant l’écran de son PC, iPad ou téléphone mobile. D’autant que l’avènement de la 3G et la diversification des moyens de connexion ont permis aux utilisateurs de surfer sans modération, là où ils le souhaitent : au bureau, à la maison, au café… Et les Marocains —une fois n’est pas coutume— ne sont pas à la traîne ! En effet, nos compatriotes, qui ont trouvé en Internet l’espace nécessaire pour exercer des libertés souvent réprimées au quotidien, sont de grands consommateurs de Web. D’une certaine manière, leur vie virtuelle prend le pas, chaque jour un peu plus, sur leur vie réelle. Sur la Toile, ils sont présents en masse sur les réseaux sociaux et les sites de rencontres. Ils s’informent de plus en plus et s’intéressent davantage à la politique. Mais leur domaine de prédilection reste essentiellement le sexe et la religion.

Religion vs. sexe

Selon les statistiques de Google, le Maroc est classé quatrième pays au monde dans la recherche du mot “sexe”, et cinq sites pornographiques sont dans le classement des 30 sites Web les plus visités par les Marocains. Avec une prédilection non négligeable pour les contenus sexuels violents. Une préférence confirmée par Google, qui rapporte une recrudescence des recherches liées au sado-masochisme et à la sexualité de groupe.

De même que le sexe, la religion fait partie des recherches les plus fréquentes du Marocain connecté. Ainsi, les prêches des cheikhs wahhabites font le bonheur de l’internaute lambda. Le Maroc est d’ailleurs classé 2ème  pays pour les recherches des termes “Quran” ou “Al Qaradaoui” (du nom du fameux cheikh égyptien, dont les fatwas permettent plus de pratiques sexuelles en couple). Mais nos compatriotes sont aussi très friands de cours d’éducation islamique ainsi que de l’écoute de sourates du Coran, psalmodiées à la manière des Moyen-Orientaux.

Ainsi, le sexe et la religion se livrent une bataille sans merci tout au long de l’année. Les fantasmes l’emportent haut la main, onze mois sur douze : en effet, durant le mois de ramadan, la tendance s’inverse avec un regain d’intérêt pour les problématiques spirituelles, illustration de la schizophrénie marocaine dans toute sa splendeur.

Homo politicus

Depuis le printemps arabe, le Marocain s’intéresse de plus en plus à la politique. Cette année, le Mouvement du 20 février a été porté au top des recherches. Comme dans les autres pays, Internet est devenu un puissant outil de mobilisation : c’est ainsi que le M20 a pu mobiliser les masses lors de ses premières marches dominicales. Les vidéos d’appel aux manifestations ont enregistré des records en termes de visualisations.

Dans le virtuel, la Jamaâ Al Adl wal Ihsane et le M20 ont détrôné le PJD et Mohammed VI. En effet, les résultats des recherches liées au parti de la lampe restent très modestes. Quant au roi, il est loin d’être la personnalité la plus recherchée sur Internet : Hassan II, son père, est deux fois plus googlisé que son héritier. Par ailleurs, l’intérêt de l’internaute marocain pour la politique se confirme à chaque actualité chaude. Les différentes émeutes qui ont eu lieu cette année à Khouribga, Taza et dans le Rif ont été particulièrement suivies.

S’informer autrement

Les trois premiers sites, Hespress, Lakome.com et Goud.ma totalisent à eux seuls plus d’un million de visiteurs par jour, soit plus du triple des ventes quotidiennes de journaux dans le royaume. D’ailleurs, Hespress est le second site le plus visité au Maroc, juste après le réseau social Facebook, chouchou des Marocains. Quant à Lakome et Goud, ils figurent sur le top 40 des sites qui drainent le plus de monde. Quid des informations les plus prisées ? Les tabous sur la monarchie et le sexe, ainsi que les scandales politiques, bien évidemment. “La polémique autour du salaire de Gerets et les fatwas de Zemzmi sont l’exemple type de ce que cherchent les Marocains”, commente un journaliste électronique.

De plus, outre le contenu multimédia offert par la presse électronique, celle-ci permet d’interagir avec le lecteur. Pour chaque article publié sur Hespress par exemple, plus d’une centaine de commentaires sont enregistrés. “Ces réactions permettent au site de comprendre les aspirations des lecteurs. Des fois, certains lecteurs sont plus informés que nous et n’hésitent pas à nous le faire savoir”, raconte un autre journaliste opérant sur le Web.

Facebook, roi du Web

Jusqu’à il y a à peu près un an, au Maroc, seule une poignée de gens utilisait Twitter. Depuis, ce réseau, qui rassemble une communauté plutôt professionnelle, attire de plus en plus de Marocains. Aujourd’hui, il figure parmi les 30 sites les plus fréquentés du pays, avec un taux de croissance de visites assez élevé. Cependant, comme la visualisation de photos (et la drague) y sont moins faciles, ce réseau peine à détrôner Facebook et à gagner l’adhésion de nos compatriotes, grands amateurs de tberguig devant l’éternel.

Autre grande tendance du Web made in Morocco : la boulimie de contenu multimédia. Les Marocains ont même la réputation d’être les meilleurs pour dénicher les dernières sorties musicales et cinématographiques. Les sites de contenus — les réseaux torrents ou le défunt Megaupload— n’ont pas de secret pour eux. Ce talent, développé d’abord pour combler les lacunes en loisirs, est visible notamment sur les étals de Derb Ghallef, qui proposent une grande variété de musiques, de films et de jeux. D’ailleurs, selon Google, “télécharger” serait le 4ème  mot le plus recherché du royaume.

 

Profil. Qui est l’internaute marocain ?

En s’intéressant aux profils des usagers des médias sociaux, de récents travaux, menés par le centre de recherche de HEM, apportent beaucoup d’éclaircissements et surtout de nombreuses surprises. L’étude, qui décrypte l’usage que font les Marocains des réseaux sociaux, démontre que 75% des internautes les utilisent pour dénoncer. Effet Printemps arabe et M20 ? Peut-être. “L’étude a été menée en septembre 2011, en plein printemps marocain, et jamais un travail similaire n’a été réalisé avant le 20 février”, précise Driss Ksikes, directeur du Cesem et co-auteur de l’étude. Quant à la drague, elle représente tout de même 33% des motivations de l’internaute marocain. L’étude fait la distinction entre quatre grandes familles de profils. Les “mobilisateurs” sont les plus âgés et professionnellement les plus stables. Leur action virtuelle s’inscrit dans la continuité de leur travail dans la vie réelle. Les “communicateurs” sont ceux qui passent le plus de temps en ligne, et leur usage est utilitariste et ciblé. Population très féminine, ils sont moins engagés que solidaires. Autre catégorie : les “observateurs”, qui réagissent plus qu’ils n’agissent. Et enfin, “les affectifs­” utilisent les réseaux sociaux pour se reposer, se divertir et draguer. Cette dernière catégorie est dominée par une présence plus masculine. Les auteurs de l’étude n’oublient pas de rappeler que, comparé à la région MENA, l’usage au Maroc des réseaux sociaux pour les quatre profils reste faible même s’il enregistre des taux de croissance très élevés.