Zakaria Boualem n’en sait rien, mais il hésite...

Par Réda Allali

Il est temps que Zakaria Boualem partage avec vous une question essentielle : faisons-nous face à une exceptionnelle avalanche d’absurdités en tout genre ou est-ce juste une impression ? Quand l’actualité est trustée par un cheikh agrémenté qui nous parle des fonctions dérivées de la carotte, peut-on continuer de faire comme si de rien n’était ? Quand la suppression d’un article de loi proposant aux violeurs de se marier avec leurs victimes mineures fait débat, que certains lui trouvent des avantages, que d’autres se demandent si la jeune fille de 15 ans ne l’a pas un peu cherché, est-il bien utile de poursuivre le dialogue ? Ne vaut-il pas mieux faire comme tout le monde, rentrer dans le souk de sa tête en attendant de trouver le moyen de s’extirper de ce cirque hideux ? Déguerpir en bon uniforme, les laisser se débrouiller entre eux… Puis balancer depuis l’exil des messages d’amour à son pays, écouter un peu de raï de temps en temps en versant une larme de crocodile… Entretenir sa nostalgie avec une telle mauvaise foi que la seule prononciation du mot “chahadate essoukna” déclenchera des souvenirs émus ? Revenir de temps en temps avec les honneurs d’un accueil VIP proposé par des hôtesses dédiées à son nouveau statut ? Zakaria Boualem n’en sait rien, mais il hésite. Pour se détendre, il surfe sur Facebook, il tombe sur une vidéo très amusante. On y voit un noble duo de barbus saoudiens bedonnant montant sur scène pour détruire un oud et une derbouka, un étrange remake chorégraphié des déflagrations pré-punk des Who. Zakaria Boualem se dit que si les saoudiens s’attaquent à leur propre culture, elle ne va pas résister très longtemps vu sa vitalité… ça serait une grosse perte assurément. Mais les commentaires sous la vidéo sont marocains, et surtout terrifiants. Une majorité s’enthousiasme pour cette belle initiative. Des gens qui, sur leur profil, affichent les groupes qu’ils aiment, se prononcent pour la destruction de la musique. Jamais descente aux enfers n’a été documentée avec une telle précision, jamais le divorce entre les paroles et les actions n’a été aussi flagrant. Une autre vidéo présente l’héroïne de la musique marocaine, Dounia Batma. Perdu au milieu des louanges, on repère deux types de commentaires largement présents : ceux qui dénoncent la machination qui a provoqué sa défaite, et les autres, qui la traitent de prostituée parce qu’elle chante. Il est temps de faire ses bagages, se dit Zakaria Boualem. “Il n’y a rien de plus effrayant que la bêtise en action”, Goethe a dû tomber sur ces vidéos Facebook… Bon, comment se sortir de cette affaire ? Aux grands maux les grands remèdes, il faut se tourner vers RedOne, le génial producteur, pour avoir un début de réponse. Dans son dernier tube, il nous montre la voie : “Sois un Marocain brave, qui se bat pour son pays, sois un peu éduqué”. On peut ironiser sur le “un peu”, mais ce serait sans doute de la mauvaise foi. RedOne a raison, le salut ne peut venir que de l’éducation. Dommage qu’il n’ait pas produit ce morceau plus tôt, parce que ladite éducation nationale est dans un triste état. Les parents qui y placent leurs enfants entretiennent peu d’espoir quand à leur sort. Les autres sont livrés à eux-mêmes, dans la jungle capitaliste sans pitié du privé, la seule certitude qu’ils ont, c’est qu’ils devront payer. Une minorité implore les ambassades étrangères, c’est une honte nationale. Si la Russie ouvrait une mission, il se trouverait suffisamment de parents désespérés pour s’auto-convaincre que c’est une bonne solution. Que peut on attendre d’un pays qui a abandonné ses enfants ? Quelle posture adopter quand, autour de soi, la majorité fait semblant d’y croire et déploie des trésors de créativité pour défendre l’indéfendable ? Zakaria Boualem est perdu, aidez-le s’il vous plaît, et merci.

PS : Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous avez du mérite, et le droit à quelques explications aussi. La tonalité exceptionnellement dépressive de cette page est telle que même le correcteur d’orthographe refuse de la relire. Elle a été rédigée le dimanche soir, après un match au score que Zakaria Boualem refuse d’écrire ici. Ni les deux doliprane, ni son DVD spécial reptiles n’ont réussi à empêcher Zakaria Boualem de s’enfoncer dans les abysses. Hamdoullah, ça va mieux maintenant.