Aziz Rabbah a jeté un pavé dans la mare en publiant la liste des bénéficiaires des agréments de transport. Il doit à présent aller plus loin pour révéler, aussi, le détail sur les détenteurs de licences de pêche et d’exploitation des carrières de sable, de marbre, des mines, etc. Sans parler des licences d’alcool (dépôt et exploitation), des agréments de petits et grands taxis et des mille et un petits privilèges accordés généreusement, arbitrairement, et en toute opacité, par le Pouvoir à certains de ses sujets. Le ministre de l’Equipement et du Transport osera-t-il aller jusqu’au bout, comme je l’en crois capable, dévoilant le nom de pointures de la nomenklatura militaire et sécuritaire, et de proches de la famille royale, parmi les privilégiés qui bénéficient de ce clientélisme absolument insupportable ? S’il le fait, le gouvernement aura incontestablement marqué un point. S’il ne le fait pas, sa démarche ressemblera a posteriori à une duperie ou à un écran de fumée (comment donner à voir pour cacher l’essentiel).
Quand le vin est tiré, il faut le boire. C’est un peu ce que nous propose Rabbah pour commencer. Et on ne va pas se faire prier pour boire ce vin… Que dit la liste ? En réalité, elle explique en bonne partie la nature des liens entretenus par le Palais avec ses “sujets”. Dedans, il y a de tout.
De la servitude et de la servilité : seuls les demandeurs de grimate peuvent éventuellement en bénéficier. Quand leur vœu est exaucé, ils deviennent les obligés du roi et du système. Ceux qui ne demandent rien n’ont rien. Demander une grima revient donc à se soumettre et à faire acte d’allégeance. La demander sans l’obtenir devient une forme de sanction. Ne pas la demander est un signe de rébellion. Plus exceptionnel, ne pas l’accepter revient à refuser un présent royal : c’est à la fois un acte d’opposition politique et de désobéissance civile.
De l’archaïsme, du favoritisme et du népotisme : au début, ce système de “clientélisme” a été inventé pour protéger certains métiers au statut social fragile (artistes ou sportifs), ou récompenser des Marocains “méritants” (résistants, nationalistes, petits fonctionnaires à la retraite). Il pouvait avoir des allures de Fonds d’entraide ou de Caisse de compensation sociale au moment où les structures de l’Etat n’existaient pratiquement pas. Mais la modernisation du pays n’y a rien changé. Le système a perduré, se transformant rapidement en manne ou cassette à argent dont le Pouvoir se sert pour combler qui il veut et frustrer qui il veut.
De l’injustice, du cynisme et du machiavélisme : certains détails ne trompent pas. A côté de l’absence d’un Saïd Aouita, premier héros national des années 1980 (le train navette Casa-Rabat portait même son nom !) qui se retrouve sans “cadeau” alors que des sportifs de second plan en ont plein les bras, on relève la présence d’anciens policiers impliqués dans des affaires scandaleuses (le meurtre de Ben Barka) ou d’un imam aux idées rétrogrades comme Abdelbari Zemzmi. Cela ne peut être le fruit du hasard : il y a bien une “injustice” qui frappe Aouita, une “bienveillance” qui accompagne les ravisseurs de Ben Barka, une “caution morale” qui enveloppe Zemzmi.
La publication des autres listes nous fournira des éléments d’analyse simples et précis sur la manière dont le Pouvoir tient, gratifie ou sanctionne ses plus proches, notamment dans l’appareil militaire, sécuritaire, voire familial. Allez Rabbah, ne t’arrête surtout pas !