Le salaire de l’autre roi
J’adore Eric Gerets. Parce que je suis fan de foot et que le sélectionneur national est un coach de tout premier ordre, en plus d’être un type droit et fier. Les sorties médiatiques de cet homme qui respire le foot sont d’ailleurs de purs moments de plaisir. Et puis, son palmarès plaide pour lui. Gerets est un grand du foot. Mais il a un sérieux problème : il gagne trop d’argent. Plus exactement, le Maroc lui paie trop d’argent. C’est le bihebdomadaire France Football qui vend la mèche : l’entraîneur belge émargerait à environ 180 000 euros par mois, soit l’équivalent de 2 millions de dirhams. Sur l’année, cela fait 24 millions, sans parler des primes et autres indemnités. D’après le magazine français, qui est connu pour son sérieux et la rigueur de ses informations, Gerets appartient au top 5 des sélectionneurs les mieux payés dans le monde. Son salaire est deux fois supérieur à celui de Laurent Blanc, le sélectionneur de l’équipe de France, qui est pourtant une puissance sportive et économique. Et il est à peu près 20 fois supérieur à celui de Baddou Zaki, le plus connu parmi ses prédécesseurs au poste de sélectionneur. A ce niveau, cela devient indécent !
Le Maroc appartient, sportivement et économiquement, à la famille des “petits”. L’Etat marocain n’est pas riche et l’équipe marocaine de football est seulement 62ème au classement mondial de la FIFA. Avec cela, nous avons recruté le 5ème entraîneur le plus cher de la planète. C’est une totale aberration sportive, économique, politique et morale.
Que l’on s’entende bien : tous les gros salaires ne sont pas sujets à polémique. Quand un club de foot, ou un quelconque consortium d’investisseurs privés, décident de payer leurs collaborateurs à prix d’or, ça ne regarde personne. Mais quand c’est l’Etat qui surpaie, cela pose problème. En d’autres termes, le même Gerets serait payé 180 000 euros par le Raja ou le Wydad que cela ne regarderait que les supporteurs desdits clubs. Mais, là, Gerets est payé par une fédération, qui est sous la tutelle du gouvernement, lequel est issu de partis élus (si l’on excepte les ministères de souveraineté). Le salaire du sélectionneur, quand il atteint des proportions à la limite “blessantes”, devient une question qui concerne directement le contribuable.
Avec ces données, on comprend pourquoi des députés de tous bords sont en train de mener campagne pour demander : “Mais combien, diable, paie-t-on Gerets ?”. On comprend aussi pourquoi la fédération de football refuse catégoriquement d’aborder le sujet. Aucune transparence, aucune communication, on n’explique rien à personne, le salaire du sélectionneur est un tabou national.
Ce qui n’arrange guère le dossier Gerets, c’est que le Maroc revient d’une campagne ratée en Afrique. La CAN a été un bide alors que le sélectionneur s’était lui-même assigné comme objectif de la gagner. Le contrat n’a pas été rempli mais le premier responsable de l’échec a été reconduit. Par qui ? C’est peut-être là le fond du problème. Tout laisse à croire que c’est la “volonté royale” (oui, oui, inévitable !) qui a porté le choix sur Gerets. Et que c’est cette même “volonté” qui le maintient encore en poste et fait de lui un homme à peu près intouchable. Mais si le roi ou ses conseillers ont eu l’ambition de faire redémarrer le football marocain, ils ont commis l’erreur de (nous faire) payer cette ambition démesurément chère. Et aujourd’hui que le constat d’échec est évident, ils seraient inspirés de faire leur mea culpa et d’arrêter les frais.