A Larache, dans une bourgade au nord du Maroc, une jeune fille de 16 ans s’est donné la mort après avoir été violée et obligée d’épouser son violeur. Scandale. Retournons cette histoire et adoptons, cette fois-ci, le point de vue du “mari”. Voilà un homme qui a détourné une mineure et l’a violée. Il a commis deux très graves infractions (viol et pédophilie), selon les normes universelles. Au lieu de le condamner à une lourde peine de prison, la justice marocaine l’a condamné…à épouser sa victime, effaçant du coup les crimes dont il s’est rendu coupable. Deuxième scandale. Considérons à présent le père de la suicidée : voilà un homme qui, découvrant que sa fille, adolescente, vient d’être violée, a décidé de la marier à son bourreau…pour que les gens arrêtent de se moquer de lui et de sa famille. Troisième scandale. Voyons à présent l’opinion publique et les réactions officielles : des citoyens lambda et des officiels, y compris au ministère de la Justice, ont trouvé le moyen de nous dire que la jeune fille était consentante et qu’elle a insisté pour conclure ce mariage. Quatrième scandale.
En plus d’avoir été violée, Amina Filali, la jeune fille de Larache, n’a trouvé de réconfort ni auprès de la société, ni auprès de la justice. C’est ce qui l’a tuée. En la mariant à son violeur, sa famille et son juge, qui ont cru ainsi la protéger, l’ont en réalité poussée à la mort. Dans toute cette histoire, chacun a joué au sauve-qui-peut pour préserver les apparences et défendre ses propres intérêts. Seule une personne n’a pas été entendue : la victime !
Il a fallu ce drame pour nous rappeler combien nos lois et notre société restent profondément injustes, a fortiori envers les femmes et les mineurs. Commençons par la justice marocaine. En plus d’être politiquement aux ordres et de souffrir du cancer de la corruption, elle repose sur un arsenal de lois archaïques et complètement stupides. L’article 475 fait partie du lot. Il stipule qu’en épousant sa victime, un violeur peut échapper à toute poursuite pénale. L’esprit de cette loi est terrible parce qu’il sous-entend que le plus grave, dans une affaire de viol, n’est pas la douleur de la victime mais la honte qui s’abat sur elle et sa famille. Quand on a été victime de viol ou de sévices sexuels, il ne faut pas avoir mal mais honte : voilà ce que pense le législateur marocain ! La victime devient une coupable dont il s’agit de couvrir la honte. Ce qu’il faut restaurer, ce n’est pas sa dignité de femme blessée mais sa réputation de femme immaculée. La loi ne se porte pas au secours de la violée mais la condamne au silence ; elle renforce au passage la croyance populaire qui considère la victime comme une coupable jusqu’à preuve du contraire. Bien entendu, cette ignominie n’est pas une exception surgie de nulle part. Elle renvoie à une mentalité, celle du législateur marocain, complètement rétrograde. Dans son esprit, et d’une manière très globale, la loi a toujours été indulgente envers les coupables de viols, sévices sexuels, pédophilie, etc. Nombreux sont les articles qui sont capables de vous faire dresser les cheveux sur la tête. Vue de près, la législation marocaine pourrait bien nous faire passer pour un pays du Moyen-Âge, qui efface les crimes de viol et de pédophilie et valide sans sourciller le mariage d’une mineure.
Regardons, à présent, la société marocaine dans ce qu’elle a de plus profond et immuable. Elle continue de considérer les femmes et les mineurs comme des citoyens de seconde zone. Une femme ou un enfant, dit-on, croit-on, c’est une demi-cervelle : forcément, quand ils sont victimes, ils y sont pour quelque chose. Donc coupables ! J’ouvre ici une parenthèse pour rappeler, à tout hasard, qu’en 2004, un touriste belge avait exploité les photos pornographiques d’un groupe de jeunes femmes, à Agadir, dont des mineures. L’affaire avait ému en Belgique mais pas, ou trop peu, au Maroc. Au lieu d’être protégées par leur communauté, les victimes en ont été, au contraire, bannies…
Quand un juge refuse de condamner un violeur, comment voulez-vous que le voisin chasse l’idée que la victime est aussi coupable ? Pourvu, donc, que le suicide de la jeune fille de Larache serve au moins à réformer les lois, et les mentalités, marocaines.