Aïe, le voile !

Par Karim Boukhari

Le directeur de l’ISIC, la principale école publique qui forme aux métiers de la presse et de la communication,
m’a dit ceci : près du tiers de ses étudiantes portent désormais le voile. L’une d’elles a récemment apostrophé le nouveau ministre de la Communication, un barbu : “On m’a interdit un stage à la télévision parce que je portais le voile, trouvez-vous cela normal ?”. Nous sommes devant une réalité nouvelle : le voile, comme la barbe, gagne du terrain. Et le Maroc est aujourd’hui l’un des très seuls pays arabes ou musulmans dans lesquels ni le voile ni la “barbe” n’ont eu accès aux principales vitrines publiques : télévision, donc, agences de voyage, banques, aviation… Pour combien de temps encore ?

Quand elle m’a entendu expliquer que le voile est une manifestation d’un retour (de la société) en arrière, une jeune femme intelligente et voilée m’a dit ceci : “La télévision marocaine ne me représente pas parce que je n’y vois aucune fille qui me ressemble, trouvez-vous cela normal ?”. Nous résistons, c’est très bien. Mais avec quels moyens ? Et jusqu’à quand ?

La poussée du voile est aujourd’hui telle que, très franchement, je n’aimerai pas être à la place des patrons de télévisions, de banques, de compagnies aériennes. Ils ont l’impression de résister à une boule de neige qui grossit à vue d’œil et ils sont à court d’arguments quand il s’agit de défendre leur ligne de conduite ; au mieux, ils passent pour ce qu’ils ne sont pas : des aveugles ou des sourds. Mais comment convaincre une jeune fille de bonne famille de se “dévoiler” pour pouvoir exercer certains métiers quand elle vous rappelle, à raison, que la seule femme ministre aujourd’hui porte le voile. “Pourquoi elle et pourquoi pas moi ?”. Le parfait casse-tête.

Les militantes du voile seront dures à combattre parce qu’elles brandissent tout de suite le discours sur la discrimination. Et il faudra se lever tôt pour les confondre. Une jeune internaute m’a écrit ceci : si Mohammed VI a “recruté” Bassima Hakkaoui comme ministre, pourquoi le patron de la RAM, qui est une enseigne publique, refuserait de recruter une hôtesse voilée ? Si tous les Marocains regardent sans problème une Hakkaoui voilée, qu’est-ce qui les empêcherait de regarder une speakerine voilée ? Et si Barack Obama ou n’importe quel grand visiteur arrive au Maroc sans être choqué par une responsable voilée, pourquoi le voyageur lambda le serait-il à la vue d’une hôtesse voilée ?

Cette question du voile était un simple détail esthétique tant que le phénomène était confiné à des poches aussi rares qu’insignifiantes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui a changé peut être expliqué par la formule suivante : les patrons pouvaient faire le choix personnel de refuser des filles qui ont fait le choix personnel de porter le voile ; le pourront-ils encore ? Je ne sais pas, ce qui est aussi une manière de dire : je ne crois pas.

Un ami, père de famille, m’a expliqué comment il a dû sanctionner sa fille pour l’empêcher de porter le voile. Et à la fin, a-t-il “gagné” ? Non, il a perdu. “J’ai accepté par peur de la radicaliser. Le foulard, ça va, tant que ce n’est pas le Niqab (voile intégral)…”. Pessimiste ? Non, réaliste. Ce n’est pas parce que nous sommes contre le voile que nous allons nous voiler les yeux et faire comme si la société d’aujourd’hui est l’exacte copie conforme de celle d’hier. Courage !

 

PS : Bien entendu, la poussée du voile renvoie à un problème de fond sur lequel nous reviendrons dans nos prochaines éditions.