Bon, Zakaria Boualem est horrifié, oui, plus que d’habitude. Il a appris qu’une certaine Amina, 16 ans, s’était suicidée cette semaine, incapable d’envisager la vie en commun avec son nouveau mari. Il faut préciser, pour être complet, que ce brave homme avait entamé sa relation avec elle par un viol. Voilà. Il y a des jours où on espère que ce qu’on écrit ne dépasse pas les frontières, tellement ça nous fout la honte. Il y a un article de loi formidable derrière ce drame. On a essayé de l’écrire en petit, mais il paraît que c’est impossible techniquement. L’mouhim, voici l’article en question : “Lorsqu’une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée”. Une brillante idée d’un législateur inspiré qui sera mise en application avec rigueur par notre système. Une fois la défloraison de nubile établie – puisque l’enquête se limite là – le juge propose le mariage à la famille de la victime qui, pour éviter le scandale et la honte, accepte cette solution. Relisez tranquillement cette dernière phrase, elle porte en elle une telle charge de sous-développement qu’elle serait capable de précipiter un pays structuré dans les ténèbres. Zakaria Boualem, plutôt que de proposer au violeur d’épouser sa victime, aurait bien aimé proposer au papa qui accepte cette bonne idée d’y passer aussi. Mais bon, personne ne lui a demandé son avis. Personne ne sait si le législateur a imaginé les préparatifs du mariage, le papa qui annonce sa décision à sa femme :
– L’hajja, ce que Le bon Dieu a donné a donné, le mariage est la meilleure solution
– Oui, je vais préparer le caftan
– N’oublie pas d’inviter le juge, c’est lui qui a trouvé la solution à notre honte
– Naaaariiii, j’ai failli l’oublier.
Dans la foulée, les premières réunions de famille, les discussions entre le papa et le gendre :
– Héééé, 3ammi, on est des hommes, 3ibna oua7ed (on a le même vice)
– Oui, oui, mais bon al hamdoulilah, tout est bien fini…
– Al hamdoulilah, le tagine de l’hajja est succulent
– Oui, j’ai bien fait de l’épouser, je l’ai rencontrée un peu par hasard, dans un chemin obscur, j’avais un couteau, et bon… 3ibna oua7ed…
– Ah bon, vous aussi… héhé quel chenapan…
Après les ténèbres, il y a les abysses. Zakaria Boualem les a visités. En engageant la conversation avec son épicier, il a découvert que ces mariages étaient plutôt courants. Dans sa famille, l’épicier connaît deux cas, ce qui est assez effrayant. Mais il y a pire. Cet homme plutôt logique ne reconnaît pas la notion de viol. S’il avait vu le sketch de Coluche où il explique au juge que “le viol c’est quand on veut pas, mais moi je voulais”, il n’aurait sans doute rien trouvé de drôle dans cette phrase. Pour lui, les hommes cherchent à attraper les femmes, qui doivent se défendre, un peu comme les animaux de la ferme. Une femme ne se fait violer que si elle l’a un peu cherché ou si elle est trop faible pour se défendre. Dans les deux cas, un tel mariage est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Elle a de toute façon perdu la seule chose qui compte dans son existence, sa virginité. Il vaut mieux continuer cette chronique en apnée, je pense. Zakaria Boualem propose la suppression chirurgicale systématique de cette fameuse virginité qui ne crée que des problèmes, et dans la foulée, la suppression immédiate de cet article débile. Pour une fois qu’il n’y a rien de mou9adass dans cette affaire, on ne voit pas bien au nom de quoi il faudrait continuer de subir pareille honte. On n’a même pas besoin de demander l’avis au cheikh grimatisé Zemzmi, il faut virer cet article, c’est tout.