Zakaria Boualem a passé tout le week-end plongé dans le document le plus fascinant publié par l’administration marocaine depuis des années : la listes de grimate de cars. Oui, je sais, certains d’entre vous jugent cette publication démagogique, puisqu’elle n’est accompagnée d’aucune explication, d’aucun plan d’action, et ils ont peut-être raison. Mais je vous dois la vérité : Zakaria Boualem s’en fout, il a épluché ce document avec délectation, voilà. Il y a plusieurs façons d’aborder cette liste. Elle ouvre des possibilités d’enquêtes extraordinaires. Il y a ceux qui remonteront la filière des actionnariats pour savoir qui se cache derrière les sociétés polygrimatisées, par exemple. Il y a ceux qui s’intéresseront au rythme de délivrance par période et tenteront d’en tirer de puissantes conclusions. D’autres feront des recherches sur les noms et détecteront les familles les plus présentes sur la liste. On peut aussi trouver d’autres critères de recherche croisée si on veut. C’est une activité magnifique. Zakaria Boualem, sans surprise, s’est intéressé aux footballeurs. Sachez pour commencer, chers lecteurs, que le Raja est le champion incontesté des grimate. Fakhir, Chadli, Aboucharouane, Nater, Aboub, Bekkari, Mesloub, Fethi Jamal, Bassir, Rossi, Jrindou…
Bouchaïb Lembarki, par exemple, est titulaire d’une formidable grima Khénifra-Ksar El Kebir qui modifie en profondeur le regard qu’on peut porter sur lui et sur ses performances. Dimanche dernier, il a été mauvais en première mi-temps avant de délivrer son équipe en seconde d’une frappe croisée précise et inspirée. Certains pensent qu’il était préoccupé par une panne de son car à la sortie de Sidi Kacem avant d’appeler à la mi-temps son grissoune qui lui a expliqué que c’était réglé, que le car était plein et qu’il roulait vaillamment, ce qui lui a permis de se libérer l’esprit à son retour sur le terrain. Et que dire de ce bon Nabil Mesloub, propriétaire d’un noble Rabat-TanTan par Marrakech et Agadir ? L’imagine-t-on se déplaçant une fois par mois à TanTan, sillonnant les rues de la ville à la recherche d’un loueur indélicat qui aurait éteint son téléphone pour l’occasion ? N’est-ce pas une vision extraordinaire ? Et puis, il y a des questions terriblement difficiles qui se présentent à l’esprit avec force et vigueur. Pourquoi toute l’équipe du Raja héroïque de 1999 a-t-elle une grima sauf Moustaouda3 ? Zakaria Boualem ne le sait pas, mais la réponse est très simple : parce qu’il ne l’a pas demandée. Oui, il faut demander sa grima, c’est la base du concept. Et puis, on peut se livrer au jeu des mérites comparés. Pourquoi Faras en a une et pas Acila, l’autre moitié de la paire de Mohammedia ? Pourquoi Aouita est absent de cette liste ? Que peut-on faire de plus que lui pour en mériter une? C’est évidemment une question absurde, puisque le mérite n’a rien à voir dans cette affaire. Personne ne mérite ce type de rente. Si un sportif a rendu service à la nation, qu’on le rétribue par une pension avec un barème transparent selon ses exploits, c’est simple. Qu’on paye aux artistes leurs droits d’auteur, c’est encore plus simple. Dans les deux cas, on parlerait alors d’un droit et non pas un privilège qu’il faut demander. Ni un chanteur ni un footballeur ne devraient être des acteurs du monde des transports publics, et encore moins toucher des sommes qui, au final, sont supportées par les usagers sans la moindre valeur ajoutée. Voilà. Maintenant que c’est dit, on peut quand même se plonger encore une fois dans la lecture hébétée de ce document merveilleux et en tirer de véritables pièces de poésie géographico-administrative. Exemple : “Le car partant de Salé se rend à Maaziz et assure des navettes entre Maaziz et Tedders pour revenir coucher à Maaziz”. Ou encore cette description de trajet un peu surréaliste, que je vous laisse apprécier : “Casablanca – Ouaoula par El Brouj -Beni Chegdal – ou (Sekrakra) Bzou et Antifa sans le droit de prendre des voyageurs (pour Settat à Casa et Settat) ni pour El Brouj Settat ou entre Settat et El Brouj et réciproquement en sens inverse”. Et merci.