Aliaa Magda El Mahdy a défié la chronique en postant une photo d’elle nue sur son blog. Hors circuit depuis que des appels à son exécution ont infesté Internet, elle a accepté d’accorder une interview à TelQuel.
Qui est Aliaa Magda El Mahdy ?
Une jeune femme égyptienne âgée de 20 ans, issue de la classe moyenne et élevée dans un milieu de musulmans modérés. Je suivais un cursus en communication à l’Université américaine du Caire, que j’ai arrêté subitement après les menaces de ma famille qui voulait m’imposer une manière de m’habiller, de penser et d’écrire. J’ai dû rompre le lien avec mes proches pour, enfin, pouvoir me battre pour que la femme ait les mêmes droits que l’homme et pour une liberté absolue des individus.
Faisiez-vous partie des mouvements qui ont appelé à la révolution égyptienne ?
Je n’appartiens à aucun mouvement, contrairement à ce qui circule dans les médias. Je ne fais pas partie du mouvement du 6 avril (mouvement de jeunesse fondé en 2008, opposé au régime de Hosni Moubarak, ndlr) et j’ajouterais que cela ne m’honore pas d’y être associée. J’ai lu leur communiqué qui démentait fermement mon affiliation à eux, précisant qu’ils n’acceptent pas les athées. Ce n’est pas ce que j’appelle militer pour la liberté. Cela ne m’empêche pas pour autant d’assister aux manifestations, dont la première fut celle du 27 mai dernier.
Quelle est l’histoire de cette photo ?
Je l’avais prise il y a plus de six mois dans la chambre de mes parents, toute seule, en utilisant le retardateur de mon appareil photo. Ensuite je l’ai postée sur mon profil Facebook, duquel elle a été supprimée, ce qui m’a amenée à la publier sur mon blog ce 23 octobre. Cette photographie correspond à ma perception de la liberté. Je suis une femme qui n’a ni honte ni peur de montrer son corps dans cette société dominée par des hommes qui ne connaissent rien au sexe et qui harcèlent quotidiennement les femmes, ne voyant que des objets sexuels.
Pourquoi n’avez-vous pas posé complètement nue, au lieu de porter des bas et des chaussures rouges ?
Tout simplement parce que j’aime la dentelle et la couleur rouge. Je sais que ce sont des symboles sexuels forts, mais contrairement à la société dans laquelle je vis, je ne vois pas le sexe partout.
Vous vous attendiez à ce que la photo fasse un buzz de cette ampleur ?
J’étais consciente qu’une photo d’une jeune femme arabe dénudée ne passerait pas inaperçue, mais je n’imaginais pas qu’elle puisse faire le tour du Net aussi vite, ni qu’elle fasse parler autant de monde.
Comment est devenue votre vie après que la photo a fait le tour du monde ?
Il y a eu des menaces de mort par email, comme par exemple “Si tu descends dans la rue, tu n’imagines pas ce qui pourrait t’arriver”, et des groupes sur Facebook appelant à mon assassinat (La campagne pour exécuter Aliaa Magda El Mahdy et Pour que Aliaa soit jugée devant le tribunal militaire, ndlr). Je ne vis pas pour autant enfermée et je ne me déguise pas avant de sortir. Je suis sortie deux fois dernièrement, personne ne m’a reconnue, je n’ai pas subi plus de dérangements que n’importe quelle autre fille égyptienne. Cependant, je reste vigilante, je suis consciente qu’il pourrait m’arriver quelque chose de grave.
Qu’en pense votre famille ?
Cela fait des mois que je ne vis plus avec mes parents, depuis qu’ils m’ont menacée de cesser de payer mes études si je ne quittais pas mon copain (le blogueur Kareem Amer, ndlr), qu’ils accusent de me manipuler. Même s’ils ne cautionnent pas ma démarche, je sais qu’ils s’inquiètent pour moi. Et si je vivais encore avec eux, je l’aurais fait quand même, en dépit des conséquences.
Pensez-vous que ce buzz débouchera sur un vrai débat concernant la situation de la femme arabe ?
Je l’espère bien. Il est temps qu’il y ait une révolution sociale en Egypte. Il faut voir comment vivent les femmes ici, le sexisme et la misogynie dépassent les limites du supportable. A titre d’exemple, j’ai reçu un message sur Facebook disant que j’étais la raison pour laquelle les mères préfèrent enfanter des garçons. Le sexisme commence in utero. Pour preuve, le nombre de petites filles avortées et les cabinets spécialisés dans la sélection du sexe qui pullulent dans les grandes villes. Et je ne vous parle même pas du parcours du combattant des femmes qui aspirent à se porter candidates dans des élections, des ravages de l’excision ou encore du drame que constitue la polygamie.
Vous l’auriez fait si l’Egypte était encore sous le joug de Hosni Moubarak ?
Absolument. En revanche, les conséquences risquent d’être plus graves aujourd’hui à cause de la montée des islamistes. Une plainte contre Kareem Amer et moi a été déposée ce 17 novembre par une coalition d’avocats qui réclament une condamnation conforme à la loi islamique. Des hommes de droit appelant à me fouetter, c’est assez révélateur de la dérive que prend l’Egypte d’aujourd’hui.
Avez-vous fait appel aux services d’un avocat suite à cette plainte ?
Un avocat me conseillerait de supprimer mon blog et de nier les faits, ce que je refuse catégoriquement. Il n’y a pas de loi claire condamnant les photos de nu publiées sur Internet. Par contre, on pourrait me nuire avec un tour de passe-passe, par exemple en m’accusant de prostitution, en exploitant le fait que je vive dans l’illégalité avec un homme. Mais, pour l’instant, l’adresse à laquelle je me trouve est gardée secrète.
Ne craignez-vous pas que les islamistes instrumentalisent votre démarche pour décrédibiliser les libéraux à l’approche des élections législatives égyptiennes du 28 novembre ?
Elle est déjà instrumentalisée et pas seulement par les islamistes. Les conservateurs en profitent pour exhorter les foules à voter contre l’immoralité et les libéraux condamnent ma démarche pour engranger le maximum de voix. Il faut qu’ils comprennent que la liberté s’arrache tout entière et non en respectant les sentiments des uns et des autres. Chacun est responsable de ses croyances. La liberté des individus ne devrait pas subir les diktats d’une partie de la société.
Avez-vous reçu d’un appui de la part des féministes égyptiennes ?
Non, elles sont assez discrètes et préfèrent rester à l’écart des polémiques. Les rares intellectuels qui me soutiennent viennent de l’extérieur, notamment une partie de la diaspora égyptienne, à leur tête Mouna Eltahawy (journaliste et féministe britannique d’origine égyptienne, ndlr).
Qu’est-ce que vous pensez des Israéliennes qui ont posé nues pour vous soutenir ?
Cela m’a beaucoup émue, mais elles sont mieux loties que leurs consœurs arabes. J’aimerais voir d’autres femmes arabes faire de même. A ce moment-là, cela dépassera le simple soutien, ce sera la poursuite d’un combat.
Envisageriez-vous de quitter votre pays si les choses arrivaient à se corser ?
Je préfère ne pas répondre à cette question.
Vous arrive-t-il de regretter d’avoir publié cette photo ?
Je ne le regrette pas et cela ne risque pas d’arriver. Je n’ai rien fait de mal à part publier une tranche de vie, que j’ai décidé de vivre librement, et je continuerai de me battre pour ma liberté quoi qu’il arrive.
Profil. All about Aliaa C’est à une adolescente que nous avons affaire au téléphone : une petite voix, tantôt hésitante, tantôt percutante de maturité. “Je suis trop digne pour avoir à choisir entre liberté et sécurité”, nous confie-t-elle. C’est d’ailleurs sa dignité qui l’a poussée à quitter le domicile familial après l’ultimatum parental : les études ou son amoureux. Aliaa abandonne l’université et ses parents pour partager le toit de Kareem Amer- célèbre blogueur, il avait été torturé et incarcéré pendant quatre ans durant l’ère Moubarak, après avoir publié des textes critiquant le régime et l’islam- qui joue le médiateur entre elle et les médias. Depuis sa publication le 23 octobre, la photo de Aliaa nue a battu tous les records. Presque 4 millions de pages vues sur son blog Moudakirat ta’ira (Journal d’une révolutionnaire), plus d’un million de hashtag #nudephotorevolutionary sur Twitter et plusieurs milliers d’abonnés sur son profil Facebook. L’interview touche à sa fin, Aliaa reprend le cours de sa vie cybernétique, en postant son premier tweet depuis une semaine : “A bas le gouvernement militaire ! Liberté sociale et politique pour tout le monde !”. |
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