Après des mois, voire des années d’attente, le méga-centre commercial a ouvert ses portes au grand public le 5 décembre. Récit d’une excursion.
Les bérets kaki des Forces auxiliaires pointillent l’océan bleu marine des policiers mobilisés pour l’occasion. Des grillages séparent les deux issues “entrée” et “sortie”, méticuleusement surveillées par des centurions en costard et talkie-walkie. Ils ne fouillent pas les sacs, mais s’attardent à questionner les barbus et autres femmes en djellaba. Il est midi et les voitures dégueulent des visiteurs en nombre raisonnable et à l’oisiveté plus ou moins justifiée : de jeunes mamans accessoirisées de poussettes, de vieux couples, des adeptes de l’école buissonnière, de jeunes cadres dynamiques en pause déjeuner…
This is Morocco… Mall
A l’entrée, on est percuté par une affiche d’une grandeur publicitaire : “code de bonne conduite à l’intérieur de Morocco Mall”. Sous les classiques “interdit de fumer” et “interdit aux animaux”, on peut lire “tenue décente exigée” – qu’on incombera sans mauvaise foi à la présence d’une mosquée sur les lieux – et une indication d’une évidence éprouvante : “réservé aux piétons”. Cette dernière est illustrée par un logo barré représentant une silhouette chevauchant une bicyclette. C’est à se demander si le vélo ne serait pas une mesure de décence visant à remplacer une chaise roulante. Sauf que si, les passages pour handicapés sont bel et bien existants, tout comme deux ascenseurs, dont l’un est payant. Le grand responsable du retardement de l’ouverture du Mall, c’est lui, un ascenseur-aquarium qui ne déchaîne pas les foules, même avec ses 37 espèces différentes de poissons. Il faut dire qu’à 25 dirhams le tour, les visiteurs préfèrent s’en servir comme arrière-plan pour une future photo sur Facebook.
Stupeur et énervement
Les systèmes d’alarme, déclencheurs de honte, carillonnent au moindre passage : que l’on sorte ou que l’on entre, que l’on soit coupable d’un vol à l’étalage ou victime de la négligence d’un caissier. Pourtant rodés à l’Aksal Académie, les employés peuvent se révéler ostensiblement indiscrets aux rayons chaussures et bijoux fantaisie, traquant les clients et les obligeant à régler l’achat des accessoires.
A chaque fois qu’une envie de nicotine vient chatouiller les récepteurs neuronaux, une voix bilingue ne manque pas de le rappeler : “Il est interdit de fumer à l’intérieur du mall. Merci pour votre compréhension”. Aucun endroit cigarette-friendly n’a été prévu, pas même au dernier étage où la profusion d’enseignes de restauration n’a d’égal que les centaines de ventres affamés qui les occupent. Pour s’en griller une, il faut sortir et, pour reprendre sa besogne consumériste, s’incruster dans les sinuosités d’une queue longue de plusieurs dizaines de mètres. Parce que oui, il y a une file d’attente à l’entrée.
Trop de shoppeurs, peu de shopping bags
Il est 14h et le mall déborde déjà de visiteurs, si bien que l’exsudation remplace le chauffage central. L’hymne national, entonnée deux fois en une heure par les enceintes du centre commercial, porterait à croire que le 5 décembre fut déclaré journée nationale, et l’ameublement humain des 250 000 mètres carrés une obligation patriotique. A la FNAC, la foule est concentrée au rez-de-chaussée, hypnotisée par les écrans géants diffusant le passage de Shakira à Mawazine. On ne s’en étonne pas dans un pays connu pour son aversion pour la lecture ; l’étage livre est quasiment désert, à l’exception de quelques lycéens venus saliver sur des mangas et une femme réclamant le dernier best-seller culinaire.
Le seul endroit abondamment visité à l’étage “Luxe” reste le souk, sorte de kissariya post-moderne où se téléscopent orfèvrerie et haute couture traditionnelle. Le reste fait office de léproseries tournant à plein régime. Les clients venus étancher leur soif consumériste chez H&M et New Look, deux des marques les moins chères, ne s’en approchent pas. Ou du moins pour l’instant.