C’est le cauchemar des grandes firmes multinationales et des politiques qui les soutiennent : le spectre du Parti pirate hante le monde depuis la victoire surprenante de ses membres allemands dans les élections législatives locales de Berlin, en 2011. L’Internationale pirate, qui regroupe les “partis” de 61 pays sur les cinq continents, profite de cette victoire et promet de devenir une force politique transnationale. Dans leur philosophie, les nouvelles technologies peuvent révolutionner la démocratie, la rendre plus directe, à condition que les gens accèdent à l’information. Ce concept nouveau, les pirates l’appellent Open governance. Welcome !
Au Maroc, une dizaine d’inconditionnels de la liberté a décidé de lancer la section marocaine du Parti pirate. Ces jeunes, de diverses tendances politiques, sont en train de créer un parti politique et n’hésitent pas à en faire la publicité. “Pirate ne veut pas dire offensif et anonyme, nous ne sommes pas des geeks ou des hackers, contrairement à ce que tout le monde pense à première vue”, explique Abderrahmane Zohry, l’une des chevilles ouvrières de l’organisation.
Démocratie directe, online !
Pour ce militant, les nouvelles technologies peuvent constituer un réel outil de veille citoyenne, mais également de participation active à la vie politique. “L’open governance, c’est rapprocher la politique du citoyen en lui faisant part de tout ce qui se passe, et en prenant en compte son avis. Internet a bien facilité les choses”. Pour cela, le Net, selon les “pirates”, ne doit appartenir à personne, et ne doit pas avoir de fonction d’appareil idéologique. “Le Parti pirate lutte contre l’hégémonie des grands groupes sur Internet. Le réseau doit rester indépendant et neutre”, explique notre interlocuteur.
Ainsi, le Parti pirate international a activement soutenu les révolutions du Printemps arabe, et même les luttes qui leur sont antérieures. Quand tous les hébergeurs ont décidé, sous la pression, de ne plus accueillir dans leurs serveurs les bases de données des câbles Wikileaks, ce sont les serveurs du Parti pirate qui ont tout publié et accueilli Julian Assange, son fondateur, les bras grands ouverts. Cet acte courageux, et à l’encontre de tous les grands groupes de pression, dont des gouvernements, a forcé la sympathie du public.
En Tunisie, Slim Amamou, blogueur et figure du Parti pirate local, malmené par le régime de l’ancien président Ben Ali, a été nommé secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux sports dans le très bref gouvernement d’union nationale, au lendemain de la fuite du dictateur. Au Maroc, les membres du parti s’impliquent dans le droit d’accès à l’information ainsi que dans la lutte contre la corruption en recourant à la dénonciation dans le cadre d’une nouvelle structure commune à plusieurs organisations des droits de l’homme, de transparence et des médias.
Pour l’amour de l’open source
De nombreux membres du Parti pirate marocain se sont placés du côté de la rue, dans les rangs du Mouvement du 20 février, et certains d’entre eux ont protégé le site Mamfakinch, devenu un relais médiatique des mouvements sociaux marocains. Le soutien des “pirates” a permis à ce portail de lutter contre les attaques éventuelles sur Internet. “Au Maroc, il est vrai qu’il n’y a pas de censure sur le Net comme dans les pays voisins, mais l’Etat a d’autres méthodes, notamment en noyant l’internaute marocain dans la désinformation”, décrit Zohry. Et si les autorités passaient aux méthodes musclées sur la Toile ? “Nous ferions tout pour défendre le droit de chacun d’accéder à Internet et de s’y exprimer en toute liberté”, poursuit notre interlocuteur.
En attendant, cela n’empêche pas que des attaques contre des sites surviennent de temps à autre, comme ce journal électronique arabophone qui a été hébergé et sécurisé par un membre du Parti pirate. “Depuis, ça marche mieux, les attaques se poursuivent mais elles n’arrivent pas à neutraliser le site”, explique le responsable du journal électronique.
Les militants du Parti pirate aspirent aussi à devenir une force de proposition pour tout ce qui est Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). A commencer par le chantier du logiciel libre. Et, là dessus, les pirates marocains ne sont pas à court d’arguments. “Imaginez les sommes qui pourraient être économisées par toutes les administrations publiques si elles intègraient des systèmes libres de droit”, argue Zohry. La bataille pour le logiciel libre, c’est aussi un combat contre les grands groupes technologiques, “comme Microsoft qui, à l’instar de Bull, a été impliquée dans les affaires d’écoute et de traque d’opposants en Tunisie et en Libye : Nous sommes prêts à apporter notre savoir-faire en la matière pour qui en veut”, propose-t-il.
A l’abordage !
Prochaine étape pour le parti : multiplier les rencontres et constituer une masse critique de militants engagés dans la création de la future formation politique. Un travail cérébral s’impose également. “Nous sommes en train de réfléchir à un mode d’organisation, mais également aux priorités en termes d’action politique”, explique notre interlocuteur. Auront-ils autant d’échos au Maroc que dans les pays nordiques ? “Notre programme n’englobe pas tout. Nous travaillons sur des thématiques précises, l’éducation et la gouvernance, le tout basé sur le droit d’accès à l’information qu’on doit déverrouiller”, précise ce “pirate”. “Malgré l’ignorance, et le fait que le droit d’accès à l’information reste une notion abstraite, Internet a offert aux Marocains des outils de veille citoyenne, et certains s’en sont saisi. Nous répondons à un besoin, nous allons donc nous développer”, conclut-il.
Parcours. Pirate dans l’âme Abderrahmane Zohry a 25 ans, et il n’est pas encore sorti de l’université où il étudie la gestion. Cet enfant de Guelmim s’est, dès son jeune âge, intéressé à Internet, en cherchant les failles des serveurs et sites Web. En 2003, il a été désigné administrateur de Zone H, la seconde plus grosse base de données des attaques informatiques et des failles de systèmes de sécurité dans le monde. Cette base de données a comme clients des gouvernements, des opérateurs télécoms et autres firmes technologiques. Notre “pirate” s’est également lancé dans les affaires puisqu’il vient de créer une start-up dans le domaine de la sécurité informatique et dispense des formations en la matière, tout en fournissant l’équipement et le savoir-faire. “Je ne me considère ni de droite, ni de gauche, je veux être devant”, explique-t-il, car, selon lui, le vrai combat avant-gardiste est d’éduquer et de promouvoir une nouvelle gouvernance.[/encadre] |