Les produits du terroir sont de plus en plus prisés par une clientèle en quête d’authenticité. Gros plan sur un business en plein essor.
Il est 15 h dans ce quartier chic du centre-ville de Casablanca. Trois jeunes femmes BCBG descendent de leur bolide rutilant. Sous le regard scrutateur des passants, elles prennent la direction d’une boutique pas comme les autres : un magasin de produits du terroir. Habituées des lieux, les trois dames se faufilent entre les allées jusqu’à ce qu’elles trouvent les produits de leur choix : huile d’olive de Tyout, huîtres de Oualidia, miel de l’Atlas, câpres sauvages ou encore figues farcies au nougat ou aux noix… Autant de joyaux de la terre marocaine qui vont finir sur les tables de ces ménagères huppées. Et pour disposer de ces délicatesses, le trio est prêt à payer le prix fort et à attendre le lendemain pour être livré. “Ces produits sont fragiles donc ils doivent être préparés avec grand soin”, souligne Aziz, le gérant de la boutique. Des boutiques de ce type, il en existe de plus en plus dans les grandes villes du royaume ces dernières années. Et pour cause, une clientèle sélect, soucieuse de consommer des produits raffinés et authentiques, qui n’hésite pas à bousculer le marché rural et ses lois.
Retour au bled
Ces trente dernières années, le pays a connu une forte urbanisation et une transformation des habitudes de la consommation. “L’arrivée de la culture fast-food et la malbouffe d’une manière générale a transformé notre rapport aux produits qui se consommaient naturellement durant les années 50 et qui sont maintenant considérés comme des produits exotiques”, explique Hamad Kassal, directeur général de la société Rayane, un des pionniers dans ce secteur de consommation. Les premières tentatives de valorisation de ces produits remontent aux années 90. Quelques sociétés ont commencé par torréfier certains produits comme la pistache ou les fruits secs. “Les producteurs ne savaient malheureusement pas packager et marketer ces produits pour en faire des aliments à forte valeur ajoutée”, se souvient Hamad Kassal. Depuis plus de trois ans, la prise de conscience liée aux enjeux environnementaux et la volonté de manger de manière saine pousse une certaine clientèle à consommer des produits alternatifs. “Généralement, notre clientèle est dotée d’un certain pouvoir d’achat et d’un niveau élevé de conscience de la valeur culturelle et nutritive de nos produits du terroir”, poursuit Hamad Kassal. Cette nouvelle niche constitue de ce fait un nouveau business. “Ces clients boostent la petite production rurale depuis quelques années partout dans le monde”, souligne Abdelilah Daoudi, propriétaire de la coopérative agricole Apia.
Un marché destructuré
Aujourd’hui, les produits à forte valeur ajoutée, comme les figues de barbarie de Ouazzane, le safran de Taliouine ou l’huile d’argan du Souss, sont devenus des cartes de visite du terroir marocain. Une cartographie culinaire qui constitue un levier de développement pour ces différentes régions. “Pour vous donner un ordre d’idées, le safran de Talilouine coûte jusqu’à 8000 DH le kilogramme et le miel de l’abeille sauvage du désert coûte 1500 DH le kilogramme”, souligne Hamad Kassal. Mais au lieu de profiter directement à un milieu rural défavorisé, la forte demande de ces produits a généré une anarchie dans ce secteur et donc des abus. C’est notamment le cas de l’huile d’argan pour laquelle la demande a augmenté aussi bien sur le marché intérieur – de plus en plus de Marocains en connaissent les vertus – qu’à l’international, grâce à l’industrie cosmétique. “Quand on voit les surfaces des arganiers au Maroc, qui ne dépassent pas les 850 000 hectares, et la quantité astronomique d’huile d’argan sur le marché, le fossé est très grand”, souligne Abdelilah Daoudi. Et pour cause, le manque de traçabilité de ces produits déstructure ce marché. “Dans la réalité, beaucoup d’entreprises installées dans les grandes villes achètent de l’huile d’argan du Souss à des prix dérisoires. Après son conditionnement, elles lui donnent une appellation de produit du terroir en toute illégalité. Or, ce transfert de richesse nuit à la véritable économie du terroir”, poursuit Hamad Kassal.
Quand l’Etat s’en mêle
Soucieux de valoriser des produits issus de savoirs-faire locaux, le ministère de l’Agriculture a intégré dans son Plan Maroc Vert une stratégie pour mettre de l’ordre dans ce secteur. Pour commencer, la loi 26-02, datant de 2008, a dressé un état des lieux cartographié de ces produits afin de permettre leur labellisation. “Aujourd’hui, nous disposons de 11 produits labélisés, comme la rose de Kelâat Mgouna ou encore le miel d’Euphorbe de la région d’Azilal, et une cinquantaine d’autres produits sont en attente de labellisation”, explique Abir Lemseffer, directrice de la stratégie et du développement au sein du ministère de l’Agriculture. Pour répondre aux exigences de ce label, un cahier des charges très strict, comportant autant de critères d’hygiène que de qualité, doit être respecté par les coopératives ou les producteurs pour bénéficier d’une appellation d’origine contrôlé (AOC). Une commission du ministère de l’Agriculture, qui fait appel à des experts de certification et de contrôle de ces produits, examine ces demandes d’AOC et y donne une suite favorable ou pas. Malheureusement, les coopératives et les petits producteurs peinent à obtenir ce précieux sésame, du fait du coût que représente ce label. La certification de l’huile d’argan, par exemple, peut coûter jusqu’à 200 000 DH. Pour donner un coup de pousse, l’Etat n’hésite pas à mettre la main à la poche pour accompagner les petites structures, améliorer la qualité de leurs produits et les pousser à se développer à l’international. La loi prévoit également des sanctions allant jusqu’à 500 000 DH contre les faussaires de ces labels. La réflexion stratégique sur le développement des produits du terroir en est encore à ses débuts et, bien que cette prise de conscience soit tardive comparativement aux autres pays méditerranéens, espérons que ces produits n’en subissent pas les conséquences sur le marché des plaisirs de la bouche.
Export. Le goût du voyage De plus en plus présents dans les salons internationaux de l’agriculture, les produits du terroir ont encore du chemin à faire pour percer à l’international. Ainsi, les professionnels avouent que le secteur souffre surtout d’un manque de diversification de leurs produits, comparés à des pays, comme l’Italie, qui exportent plus de 2000 produits. Pour pallier ce manque à gagner sur le marché mondial, il est impératif de miser sur la recherche et le développement. En effet, les quantités produites actuellement ne constituent pas une masse critique pour exporter à l’international. Enfin, le marketing de ces produits doit s’adapter aux différentes cultures du marché mondialisé. “Un produit comme Amlou a été plébiscité par les Américains, mais ils nous ont reproché son côté trop liquide. C’est la même chose pour les grosses dattes Majhoul de Tafilalet dont l’emballage de 2 kg n’a pas marché en Allemagne”, avoue Abir Lemseffer, avant de conclure que le producteur a été sensibilisé à ces exigences pour attirer de nouveaux clients. |