Une précision pour commencer : Zakaria Boualem n’est impliqué en aucune manière dans les “évènements de Taza”. Voilà, c’est dit. Ce n’est pas parce que notre héros est originaire de Guercif qu’il est forcément dans tous les mauvais coups de la région. Pour comprendre ce qui s’était passé, il a donc appelé un ami à lui, noble propriétaire d’un hammam dans le centre-ville, qui s’est contenté de lui lâcher que “dak chi khayb” avant de retourner à ses occupations. Depuis la vague de froid, son hammam ne désemplit pas, il l’a transformé en café restaurant hôtel, les gens viennent pour la journée, il est donc en train d’installer des télés… Revenons au sujet, Taza, donc. Zakaria Boualem a commencé par lire la déclaration de notre Chef de gouvernement : il menaçait de poursuite tous les médias diffusant de fausses informations sur ces évènements. Très bien, s’est dit Zakaria Boualem, cet homme a une vraie ligne directrice. Après l’interdiction de journaux sous des motifs divers – une attitude touchante d’anachronisme (un peu comme les guerrabs), c’est donc encore une fois la presse qui est visée. Soit, ils ont dû le chercher. Notre héros s’est aussitôt rabattu sur nos médias officiels que Dieu nous donne leurs visages. Un reportage de 2M de deux minutes trente. Une sorte d’ovni télévisuel, fruit probable de réunions interminables et de coups de fil de validation nombreux, de montage et de remontage. Le résultat, c’est qu’on ne comprend rien à ce qui s’est passé. C’est un reportage abstrait, une longue ellipse digne des heures les plus sombres du cinéma nord-coréen. Pas d’image d’affrontement, bien sûr, ni un mot sur ce qui a déclenché la colère des habitants, rien sur la répression, aucune idée sur les dégâts. Juste un mot, glissé au milieu d’une interview : il y aurait derrière ces “évènements” une “main cachée”. Bizarrement, cela n’a pas rassuré notre héros, paranoïaque notoire. Parce que cette phrase implique en fait qu’il y a deux mains cachées : celle qui a organisé les émeutes et celle qui veut cacher le travail de la première main cachée. Du coup, l’étendue des possibilités de complots devient fascinante et peut entraîner n’importe qui dans les ténèbres de l’angoisse. Soudain, au milieu du reportage, ce chiffre : 83 membres des forces de l’ordre ont été blessés ainsi que « des manifestants », dont le nombre n’a pas été précisé. Cette non-information a aussitôt plongé le Guercifi dans la perplexité. Parce que si presque une centaine de professionnels entraînés et armés au minimum de zerouatas manuelles ont été blessés, ça veut dire que de l’autre côté, ils doivent être près du millier à avoir mangé leur génitrice, et la main secrète devient très très forte… Et s’il y a eu un millier de blessés, c’est forcément qu’il y avait plusieurs milliers de manifestants et on peut dans la foulée se demander comment une main secrète aussi puissante peut rester secrète… C’est une impasse logique et Zakaria Boualem se tourne vers d’autres médias officiels pour y échapper. Il dégotte donc un journal respectable, qui, lui, nous explique que les Tazistes violents n’étaient qu’une poignée. Donc quelques hooligans peuvent envoyer 83 policiers à l’hôpital, malgré le déséquilibre des moyens. C’est une très mauvaise nouvelle pour notre sécurité. Un peu comme si nos Lions de l’Atlas étaient défaits par l’Ouganda à domicile. Ah bon, on me signale que c’est bien arrivé il y a quelques mois… Il faudrait donc peut-être confier notre équipe nationale à cette main secrète, elle a l’air d’obtenir de bons résultats.
Bon, Zakaria Boualem n’a toujours pas compris ce qui s’était passé à Taza, si ce n’est que son pote moul’hammam avait raison : dak chi khayb. Il vous avait prévenus : la stabilité d’une société est inversement proportionnelle au nombre de gens qui n’ont rien à perdre. Au moment où il semblait évident que le moment soit venu de vous saluer, non sans une dernière pirouette, du type “ça ne sert à rien de faire la révolution si c’est pour se faire éliminer en quart de finale”, une dépêche MAP est venue donner un second souffle à cette page exsangue. Un texte brillant, intitulé “Taza en passe de récolter les fruits de vastes chantiers de développement humain”, qui liste une impressionnante série de réalisations qui imposent la conclusion suivante : les Tazis sont une version dégradée des Guercifis, eux-mêmes le résultat d’un piratage des Oujdis, copie lamentable des Algériens. Des ingrats, donc. Et merci.