Vous avez dit M20 ?

Par Karim Boukhari

Avec le M20, ce ne sont pas les individus qui priment mais les idées.

Il y a deux manières de considérer le Mouvement du 20 février. On peut le voir comme une exubérance tout à fait inutile, voire nuisible, ce que beaucoup font allégrement. C’est facile et c’est surtout borné puisque, dans ce cas, la réflexion ne peut aller bien loin. Mais on peut tout aussi bien, et c’est beaucoup plus avantageux, voir le M20 comme une nouveauté sérieuse, et conséquente, dans le Maroc de 2011. Laissez-moi vous dire que le recul dont on dispose aujourd’hui, neuf mois après le déclenchement du Printemps arabe, est suffisant pour considérer le M20 comme une aubaine, une chance, un ticket gagnant pour l’avènement d’un Maroc meilleur. Pourquoi ? Pour une raison très simple : les “tares” supposées du mouvement sont en fait des qualités et des clés pour réconcilier notre pays avec son histoire et, surtout, avec son époque.
Je m’explique. On reproche au M20 d’être un mouvement sans leader. C’est recevable. Le Maroc, et ce n’est pas nouveau, n’a pas enfanté de Che Guevara. Beaucoup considèrent que c’est un problème, en ce qui me concerne je vois cela comme une bénédiction. Il ne faut pas s’en plaindre mais, au contraire, s’en réjouir. Avec le M20, ce ne sont pas les individus qui priment mais les idées. Cela représente une rupture puisque le processus d’identification se fait désormais aux idées et non plus aux individus. C’est une nouveauté. Prenez le slogan majeur du mouvement : Smaâ Sawt Chaâb (écoute la voix du peuple), la phrase et la revendication sont belles, elles sont justes et recevables en tout moment et peu importe, en fin de compte, qui les a mises au jour. Ce n’est pas le plus important. L’identification ne se fait plus à l’auteur de la phrase, qui peut être n’importe qui, mais au sens et à l’idée elle-même. Et c’est une très bonne chose. L’absence de leader a ceci de salvateur qu’elle nous interdit enfin un exercice vieux et paresseux comme le monde : la déification. Nous n’allons tout de même pas nous inventer de nouveaux dieux là où il n’y en a nul besoin. Parce qu’on peut faire autrement et c’est la preuve d’une société qui commence à se prendre en charge. Un point de départ intéressant. Les sociologues vous le confirmeront : en évitant de nous tourner systématiquement vers Dieu, nous nous affranchissons en tant que citoyens et nous entrons de plain-pied dans la modernité. Cela correspond à une petite révolution des mentalités et c’est plutôt pas mal pour une nation comme la nôtre, empêtrée jusque-là dans les processus de déification des leaders et d’infantilisation de la masse.
Le deuxième reproche essentiel qui colle à la peau du M20 est sa perméabilité, jugée importante, aux islamistes. Je vais vous dire : c’est tant mieux. Du temps de Hassan II, l’opposition était de gauche et, avec Mohammed VI, elle est devenue islamiste. Aucune de ces oppositions n’a jamais porté, et vous savez pourquoi ? Parce qu’elles ne représentaient, à chaque fois, que la marge de la société marocaine. Le royaume est pluriel, il est fait de gauchistes et d’islamistes, mais aussi d’apolitiques et de gens “normaux”. Le M20 regroupe aujourd’hui tous ces gens qui, a priori, n’ont rien à voir ensemble. Ce sont tout simplement des Marocains et leurs divergences ne les divisent plus mais les fédèrent. Ce qui ressemble à une tare devient un atout puisque la mosaïque représente très fidèlement ce qui peut se faire, et exister, dans le Maroc de 2011. Et ce qui est sûr, c’est que l’opposition de demain, celle qui représente réellement une alternative et peut causer des insomnies au système, ne peut être que celle-là : plurielle et fidèle à la configuration de la société marocaine.
Le M20 est donc cet agglomérat sans héros et ouvert aux quatre vents. Ce n’est pas une faiblesse mais une force. Vues sous cet angle, les difficultés organisationnelles inhérentes à ce genre de situation importent finalement peu. Elles aideront le mouvement à grandir. Je suis optimiste. Le M20, à bien y voir, est devenu cette puce, cet air du temps, qui pousse votre fils à refuser les injustices liées à un conseil de classe et qui peut, demain, dire Non, Stop. C’est le principe même des minorités agissantes, la seule force capable de bouleverser le cours des choses. Je suis heureux de constater que le Maroc ait pu engendrer cette force à laquelle je souhaite longue, longue vie.