De deux choses l’une : soit nous allons déclarer la guerre à l’Espagne, soit notre gouvernement dit n’importe quoi.
Le porte-parole du gouvernement Khalid Naciri a dit : “Le Maroc doit réévaluer l’ensemble de ses relations avec l’Espagne”. Bigre ! On ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais ça a l’air grave… Cette inquiétante déclaration fait suite à un vote du parlement espagnol, condamnant implicitement le Maroc après les troubles au Sahara. Cette fois, ce n’était plus seulement le Parti populaire qui parlait, mais quasiment tous les partis politiques espagnols. Ça fait beaucoup de monde à invectiver, quand même. Mais M. Naciri n’est jamais à court dans ce registre. Il a donc déclaré : “Les positions (de ces partis) sont alimentées par de vieux complexes envers le Maroc”. Certains de ses collègues ont été encore plus inspirés. Depuis cette fameuse marche “anti-Parti populaire”, dès qu’on leur parle de Madrid, ils balancent les mots “haine” et “complot” à tout va. De deux choses l’une : soit le Maroc est sur le point de déclarer la guerre à l’Espagne, soit notre gouvernement dit n’importe quoi et ne mérite pas d’être pris au sérieux. Je vous laisse choisir.
En réaction aux fulgurances de M. Naciri et de ses collègues, le vice-président du gouvernement espagnol a dit : “Les relations entre l’Espagne et le Maroc sont stratégiques et très importantes, et elles resteront ainsi pour toujours”. Puis son homologue aux Affaires étrangères a ajouté : “Ma responsabilité est de conserver un climat adéquat à même de nous permettre de nous pencher conjointement sur des sujets d’intérêt commun”. Y voyant de la contrition, voire de l’éloge au Maroc, la MAP s’est naïvement félicitée de ces deux déclarations. Mais à bien les relire, on réalise qu’elles ne comportent aucune opinion. Les relations hispano-marocaines peuvent être “stratégiques et très importantes”, cela ne les empêche pas d’être tendues, voire exécrables. Quant au climat “adéquat”, il peut aller de la lune de miel à la guerre des tranchées. Si quelqu’un vous insulte, par exemple, la réponse “adéquate” pourrait consister à lui envoyer votre poing dans la figure…
Ah, les mots ! Encore un domaine dans lequel nos adversaires font preuve de plus de maîtrise que nous… Côté marocain, des emportements belliqueux tout en adjectifs et en superlatifs, côté espagnol, des tournures de phrases pesées au microgramme, pour n’engager à rien tout en donnant l’impression de dire des choses gentilles. De la diplomatie, quoi ! Quant à ce qui se dit derrière le rideau… Je donnerais cher pour lire les derniers “câbles” des chancelleries installées à Rabat (Wikileaks ne les a pas, quel dommage !). Dans le secret de leurs correspondances, les diplomates occidentaux doivent considérer notre gouvernement comme un adolescent agité qu’il faut gérer avec doigté, car sujet à des crises de nerfs périodiques…
Tout cela ne veut pas dire que les Espagnols ont raison et que nous avons tort. En l’occurrence, ce serait même plutôt le contraire. Il est évident que l’opinion publique espagnole est majoritairement acquise au Polisario, ce qui se reflète chez la majorité des journalistes et des politiciens prompts à défendre un “peuple opprimé” contre un “ogre colonial”. Mais en Espagne, la presse est libre (y compris de délirer), et les politiciens sont libres (y compris de faire du populisme). Quant au gouvernement, eh bien il gouverne. A ce titre, il sait la responsabilité qui est la sienne, car la raison d’Etat est son horizon. Et la raison d’Etat espagnole dicte de ménager le Maroc, voisin en effet stratégique. Mais la raison d’Etat ne peut aller jusqu’à bafouer la liberté d’expression – et tant pis si, en l’utilisant, les médias et les politiciens irritent ces grands enfants de Marocains. Le gouvernement est là pour écoper, c’est son travail.
Ce que nos officiels n’arrivent pas à (ou refusent de) comprendre, c’est que l’Espagne est un assemblage d’institutions, chacune respectant l’autre tout en s’en tenant à distance. Le gouvernement est responsable, le parlement souverain, la justice indépendante et la presse libre. Chacun des quatre pouvoirs joue sa partition, et l’alliage de ces quatre partitions forme un système qu’on nomme démocratie. La démocratie espagnole n’est pas parfaite, bien entendu. Comme ailleurs, elle est travaillée par des intérêts inavoués et l’influence des lobbies – en l’occurrence ici, celui des séparatistes. A nous de contrer cette influence par une stratégie de communication ad hoc – et il faudra être patients, car nous avons 3 décennies de retard sur nos ennemis. D’ici là, de grâce, Messieurs nos ministres, cessez de nous faire honte par vos formules à l’emporte-pièce. Là où vous voyez du patriotisme viril, le reste du monde ne voit que de l’immaturité. C’est, au sens premier du mot, déplorable.