Le problème ce n’est pas l’islam, pas Dieu, mais leur instrumentalisation par le pouvoir.
Le plus dur, dans ce que nous vivons en ce moment, est de voir comment la religion est en train d’être utilisée comme une arme contre le progrès et le changement. Cela s’appelle de l’instrumentalisation, c’est extrêmement vicieux et notre devoir est de tirer vite, vite, la sonnette d’alarme. Nous avons vu comment les mosquées ont abreuvé (et continuent) les fidèles de prêches pour les inciter à voter, à dire oui, et surtout pour dénigrer les “autres”, de plus en plus assimilés à des athées et à des ennemis de l’islam. Dans un pays où la religion reste la première force fédératrice, cela peut faire très, très mal. Nous avons également vu comment la Zaouïa Boutchichiya a été mobilisée pour contrer la jeunesse du 20 février et lancer un retentissant “Naâm a sidi” d’un très mauvais effet. Qui a eu l’idée, qui a autorisé une telle perversion qui ajoute à la confusion des genres et peut faire beaucoup de mal à la confrérie soufie elle-même ? Il faut le dire très clairement : en détournant la tariqa de Cheikh Hamza de sa vocation, le Pouvoir est en train de nous faire courir de très gros risques. Et je ne pense pas que le mal va s’arrêter là : dans les semaines qui viennent, vous allez sans doute voir des imams surgir, ça et là, pour émettre des pseudo-fatwas diabolisant le Mouvement du 20 février et tous ceux qui osent encore dire non en général. Vous allez peut-être aussi voir de nouvelles vagues de soufis déferler sur nos villes pour expliquer à Monsieur tout le monde que voter aux prochaines élections est un devoir religieux et que ceux qui ne s’y plient pas désobéissent à Dieu. “Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage”, c’est ce qu’on dit. On peut ajouter : “Qui veut lever la tête et faire porter la voix du changement risque d’être excommunié par les représentants de Dieu sur terre”.
L’étreinte exercée par la religion ne va pas se relâcher, je ne le crois pas, et cela ne rend service ni à l’islam, ni à la société. Bien au contraire, l’irruption de la religion en politique, l’invocation d’Allah en dehors des espaces de recueillement et le cocktail explosif Halal-Haram, bon musulman-mauvais musulman, croyant-athée, vont nous compliquer la vie pour les mois qui arrivent. Parce que cela revient à opposer islam et progrès, religion et démocratie, et cela peut faire beaucoup, beaucoup de dégâts.
Plus que l’armée, plus que le Sahara, plus que le sexe, plus que le roi et plus que tout, Dieu est le premier et sans doute l’ultime tabou dans un pays comme le Maroc. Exploiter Dieu pour diaboliser les “opposants”, ou simplement les démocrates et les progressistes, est le meilleur moyen d’enterrer tout espoir de réforme politique et sociale. Ce risque existe et c’est pour cela qu’on le redit : attention ! Ce n’est pas pour les transformer en espaces de haine et d’intolérance que les mosquées ont été érigées. Et ce n’est pas pour les “charger” contre de jeunes militants du changement que les confréries ont été créées. Non et mille fois non. Alors il faut dire stop, de grâce, respectez la foi des croyants, respectez les mosquées, respectez Dieu et laissez les imams et les oulémas en dehors du “jeu” politique.
Entendons-nous bien : le problème ce n’est pas l’islam, pas Dieu, mais leur instrumentalisation par le Pouvoir et ses multiples représentations. C’est une réalité. Avant elle était triste, aujourd’hui elle est dangereuse.
Je dois aussi rappeler, et cela n’a pas été suffisamment dit, que la nouvelle Constitution renforce la religiosité de l’Etat. La religion a même servi de monnaie d’échange pour préserver les pouvoirs absolus du chef de l’Etat : au lieu de négocier une plus grande marge de manœuvre, les partis conservateurs ont exigé que la “liberté de conscience” (une clause qui pouvait desserrer l’étreinte de la religion et réduire les possibilités de son instrumentalisation) soit retirée de la Constitution. Ils ont eu gain de cause et c’est tant mieux pour eux, mais ils n’ont pas obtenu plus de pouvoirs et c’est tant pis pour eux et pour nous aussi.