Que vaut le 18e cru du Festival du film de Tanger 2017?

Que vaut cette 18e édition du Festival national du film de Tanger? Nous avons posé la question aux spécialistes Nourredine Lakhmari, Bilal Marmid et Daoud Ouled Siyed.

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Headbang Lullaby de Hicham Lasri © Charles-Hubert Morin

Toute cette semaine, les professionnels du cinéma se sont rués au cinéma Roxy à l’occasion du festival national du film de Tanger qui prend fin le 11 mars. C’était notamment l’occasion de découvrir la totalité (ou presque) des productions marocaines de l’année 2016 (15 longs métrages).

Au programme: les œuvres de cinéastes confirmés comme Ahmed El Mâanouni avec « La Main de Fadma« , Hakim Belabbes avec « Pluie de Sueur« , Hicham Lasri avec « Headbang Lullaby« , ou encore Mohamed Achaouar avec « Lhajjates ». Des cinéastes prometteurs projettent aussi leurs films, comme Adil Azzab (My Name is Adil) ou encore Khaoula Assebab Benamor (Le Clair Obscur).

Le public était au rendez-vous, la salle étant constamment comble. Nous avons demandé à trois fins connaisseurs du cinéma national de nous livrer leur appréciation des oeuvres produites.

Nourredine Lakhmari, réalisateur

Noureddine Lakhmari © Yassine Toumi/TELQUEL
Noureddine Lakhmari © Yassine Toumi/TELQUELCrédit: Yassine Toumi / TelQuel

Les producteurs ont une culture du fast-food cinématographique 

Le grand problème du cinéma marocain, ce sont les producteurs et les scénarios. Le département du scénario est celui qui est le moins valorisé dans la chaine de production d’un film, et c’est grave. La majorité des producteurs du cinéma au Maroc sont des producteurs de télévision. Ils ont développé la culture du fast-food cinématographique, car ils veulent produire vite. Plus vous produisez vite, plus vous gagnez de l’argent. Ils ont importé au cinéma cette culture qui consiste à faire sortir une série de trente épisodes en deux mois. C’est un problème sérieux qu’il faut attaquer à la racine. Il faut imposer à ces producteurs de prendre le temps pour proposer des scénarios solides. Il faut arrêter de dire qu’on n’a pas de bons cinéastes ou scénaristes. C’est la manière de faire de ces producteurs qui est catastrophique. Aujourd’hui, les réalisateurs sont fragilisés.

Le signal a été clair au festival de Marrakech où aucun film marocain n’a été sélectionné et ce n’est pas parce qu’on n’a pas de talents. C’est cette culture du fast-food qui sévit. Pour revenir à la sélection officielle, il y a deux ou trois films où il y a une vraie vision. Ce n’est pas la peine de citer des noms, car cela va encore une fois faire polémique. Il y a de l’espoir, mais on sent la fragilité du cinéma marocain et le manque de rigueur.

Bilal Marmid, journaliste spécialiste du cinéma

Crédit: capture d'écran
Crédit: capture d’écran

Beaucoup de déchet et c’est frustrant

Je ne m’attendais pas à grande chose de ce festival. Hicham Lasri qui présente « Headbang Lullaby » est égal à lui-même. Je trouve que cette fois-ci, il a soigné l’image, il a donné beaucoup plus de liberté à ses comédiens. Ils étaient même gâtés. Pour une fois Latefa Ahrar ou Aziz Hattab ont fait du cinéma. Je trouve que c’est son deuxième meilleur long métrage, après « C’est eux les chiens ».

Pour le reste il y a beaucoup de déchet, et c’est frustrant. Je déplore aussi qu’il y ait beaucoup d’acteurs qui se lancent dans la réalisation. Bientôt, nous aurons plus de réalisateurs que de comédiens. Quand trois jours passent dans un festival sans pouvoir voir du cinéma, c’est grave. Je ne généralise évidemment pas. En plus de Hicham Lasri, il y a eu le film de Khaoula Assebab Benamor, « Le Clair Obscur ». Il est beaucoup plus intéressant que les œuvres de certains réalisateurs qui sont là depuis des décennies. Je signale d’ailleurs que c’est son premier long métrage.

Cette édition nous montre qu’il n’y a pas de cinéma marocain, mais des films marocains. On attend toujours de quelques noms comme Nabil Ayouch, Mohamed Mouftakir, Fouazi Bensaidi ou Leila Kilani qu’ils fassent de petits exploits personnels pour sauver la mise. Il y a aussi la question du public: les gens rigolent constamment dans la salle et ça montre qu’on a un vrai travail à faire au niveau du cinéma, mais aussi au niveau de la culture cinématographique. On a de bons comédiens, mais on n’a pas beaucoup de bons cinéastes. Ce qui m’a aussi beaucoup choqué c’est le fait d’établir une présélection de 15 films alors qu’il y a beaucoup de déchet, autant prendre les vingt films qui ont concouru à la sélection.

Daoud Oueld Siyed, réalisateur

DR

Le cinéma, ce n’est pas que des films d’auteur très profonds

Comme dans tous les festivals du monde, il y a du bon, du moyen et du mauvais. Ce qui est important, c’est qu’on a des productions marocaines. À une époque, le festival a été à maintes reprises annulé faute de films. « La main de Fadma » d’Ahmed El Mâanouni par exemple s’oppose diamétralement à ce qu’il a pu faire auparavant avec des films comme « Alyam Alyam » ou « Transes« .

Son dernier long métrage est très bien ficelé, c’est du Woody Allen marocain et j’ai passé un très bon moment à le regarder. Le cinéma, ce n’est pas que des films d’auteur très profonds. Parfois en voyant ce type de films, on s’ennuie, il faut le dire.

Je trouve que la sélection des longs et des courts métrages est intéressante. Il y a des films qui sont plus proches de mon univers comme « Pluie de Sueur » de Hakim Belabbes, ou « My name is Adil » d »Adil Azzab, mais je suis aussi un très bon public quand ils ‘agit d’un film comme celui d’El Maanouni ou « Addour » d’Ahmed Baidou.

On a la chance au Maroc de faire des films alors qu’ailleurs il y a zéro production. Il est important de réaliser des films pour les spectateurs qui désertent les salles de cinéma. Je milite pour un cinéma pluriel. Les gens me taxent de cinéaste de films d’auteur, mais j’aime beaucoup la comédie. En somme, c’est une sélection éclectique et c’est beau. Il faut faire des films, quelle que soit l’intention.

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