« Le PJD a construit un système de victimisation dont il exploite les ressorts »

L’ambiance délétère de la campagne pré-électorale amène à s’interroger sur les mécanismes favorisant ce climat. Deux départements semblent s’affronter : le ministère de l’Intérieur et le chef du gouvernement. Le politologue Mustapha Sehimi livre son analyse de la situation.

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Pensez-vous que le ministère de l’Intérieur s’acharne contre le PJD ? 

Où est l’acharnement dont vous parlez ? II y a des faits qui appellent une mise au net. Des réunions publiques du PJD non autorisées, les sondages interdits avant le scrutin et d’autres choses. Que je sache, il y a des recours ouverts par la loi. Pourquoi n’ont-ils pas été actionnés ? C’est cela l’État de droit et le principe de légalité auquel le PJD en l’espèce se dit attaché. Si des violations des libertés – tel le droit de réunion – ont eu lieu, pourquoi le chef du gouvernement n’a-t-il pas usé de la plénitude de ses attributions pour « réparer » les mesures prises par le ministre de l’Intérieur, membre de son cabinet ? On est, en fait, dans un jeu de rôles qui ne trompe personne. Le PJD a construit un système de victimisation dont il exploite de manière optimale les ressorts. C’est d’ailleurs ce même argumentaire qui est mis en avant depuis des années pour tenter d’expliquer que les réformes non entreprises sont dues aux « résistances »…

Le ministère de l’Intérieur n’a jamais été aussi indépendant du gouvernement, notamment du chef de l’exécutif. Comment l’expliquez-vous ?

Le gouvernement est un organe collégial, solidaire, placé sous l’autorité du chef du gouvernement, dont les attributions ont d’ailleurs été fortement élargies et renforcées avec cette nouvelle loi suprême. Au fond, ce qui apparaît depuis cinq ans dans la pratique institutionnelle, c’est qu’il y a un problème de gouvernance et de cohérence dans l’impulsion et la conduite de l’action gouvernementale. Cette critique de principe avait déjà été relevée par Hamid Chabat, secrétaire général du parti de l’Istiqlal, et elle a conduit au retrait de cette formation en juillet 2013, après une bonne année de soubresauts et de spasmes. Elle a été reprise après par Salaheddine Mezouar, président du RNI, voici quelques mois. Il y a donc dans le fonctionnement de la machine gouvernementale un déficit de coordination et de concertation qui n’a pas été redressé. Cela ne tient-il pas à la nature profonde du PJD et au tempérament autoritaire, sectaire et dogmatique d’Abdelilah Benkirane ? D’ailleurs, même dans son propre parti, cette critique est récurrente au vu des pouvoirs qu’il s’est octroyés pour valider seul les accréditations des candidats, sans que les choix des instances locales du PJD priment.

À votre avis, ces tensions entre l’Intérieur et le parti majoritaire influeront-elles sur le cours des prochaines législatives ?

Oui, les tensions entre le PJD et le ministère de l’Intérieur vont peser sur l’organisation et les résultats du scrutin du 7 octobre. Comment ? Le PJD a déjà balisé par avance le terrain dans l’optique de l’« après 7 octobre ». Que ses résultats ne soient pas ceux qu’il escompte, et il aura beau jeu de mettre en cause le comportement de l’administration. On a affaire à une victimisation préventive qui peut toujours être utile. Elle nourrit d’ailleurs un discours populiste, nous et les autres, en mettant en cause des « forces » hostiles à cette mouvance. Une posture non d’apaisement et de renforcement du lien social mais plutôt de clivage et de confrontation entre des blocs.

 

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