Anciens captifs de Boko Haram, nouveaux parias de la société

Umar, 5 ans, était condamné à mourir de faim dans un camp de déplacés du nord-est du Nigeria si Fatima Salisu n'avait pas recueilli le petit garçon sous son abri. C'est un « yayan Boko Haram », un enfant d'un combattant de Boko Haram.

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Crédit: AFP
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« Quand j’ai demandé à un soldat si je pouvais adopter le petit, il a ricané et a dit qu’il valait mieux le laisser mourir et qu’ils le jetteraient ensuite aux ordures », se souvient-elle. Fatima Salisu, veuve d’un combattant du groupe islamiste nigérian, elle-même réfugiée au camp de Dalori, à l’extérieur de Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, n’a pas eu le coeur de le laisser seul.

Une nouvelle caste sociale a émergé avec le conflit et ses dizaines de milliers de jeunes hommes, femmes et enfants, kidnappés par les jihadistes: ils sont devenus les pauvres des pauvres, la caste des exclus. Fatima Salisu aussi est une paria. Cette Camerounaise de 25 ans a été tenue prisonnière pendant 16 mois, forcée à épouser un combattant du groupe, dont elle a eu une petite fille, décédée pendant sa capture.

A la mort de son mari, Fatima s’est enfuie et a rejoint les 2,6 millions déplacés du conflit, dont la moitié sont des enfants, selon un rapport de l’Unicef publié jeudi-. Sur ce total, 475.000 enfants souffrent de malnutrition sévère (trois fois plus qu’en janvier) et 20.000 enfants nigérians ont été séparés de leur famille par le conflit qui dure depuis 2009, ajoute l’organisation onusienne.

Quelque 50.000 personnes vivent dans le seul camp de Dalori, mais Mme Salisu et son fils adoptif restent à l’écart. « On n’a pas le droit de s’approcher, tout le monde nous regarde avec mépris », confie-t-elle. La jeune femme dit pouvoir supporter les moqueries mais elle s’inquiète pour Umar et pour les enfants du camp dans sa situation. « Ils sont frappés, ils n’ont pas le droit d’aller jouer avec les autres. Ca les blesse », raconte-t-elle. « Si on autorise ça, leur colère va les transformer en une grave menace pour la société. »

Les experts aussi mettent en garde contre le fossé qui se creuse entre les anciens captifs de Boko Haram et le reste de la population. Dans les villes qu’ils capturaient, les islamistes de Boko Haram ont retenu prisonniers des dizaines de milliers de personnes dans la région du lac Tchad pendant des mois, avant que l’armée ne les libèrent. Sympathisants du mouvement ou non, ceux qui n’avaient pas pu s’enfuir et qui refusaient de rejoindre le groupe étaient systématiquement abattus.

Libérées, les femmes se retrouvent rejetées par la communauté et leurs enfants considérés comme de futurs combattants. « Ostraciser les enfants des insurgés va empêcher le processus de réconciliation et de réhabilitation et aura automatiquement des conséquences sur leur possible radicalisation », explique Hilary Matfess, chercheuse à l’Institute for Defense Analyses, près de Washington, spécialisée sur la région. « Un grand nombre de femmes ont été kidnappées, les lycéennes de Chibok (enlevées en avril 2014) en sont l’exemple le plus célèbre, mais certaines ont rejoint les rangs de Boko Haram volontairement », note-t-elle.

A la libération des villes par l’armée, « faire la différence entre ceux qui ont été kidnappés ou ceux qui choisi de rejoindre le groupe relève quasiment de l’impossible », créant un climat de méfiance et d’hostilité. « Il y a une rupture de confiance entre les communautés », dit-elle. Même dans les familles, l’ostracisme se fait sentir. « Ils pensent tous qu’on voulait se marier avec des combattants de Boko Haram », raconte Hafsa Ibrahim, une femme de 27 ans, kidnappée pendant la prise de la ville de Bama, dans l’Etat de Borno, et unie de force. « Mais ils nous ont forcées ! », poursuit-elle en fondant en larmes.

Le problème a fait réagir les autorités. « Nous devons montrer de l’amour aux enfants innocents et apporter notre soutien à leur mère, innocentes elles-aussi », a imploré le gouverneur du Borno, Kashim Shettima, en mai de l’an dernier, prévenant que, sinon, ils risquaient « d’hériter » de la haine de leurs pères. Mais dans le nord-est du Nigeria, on reste convaincu que le « mauvais sang » se transmet de génération en génération. « L’enfant d’un serpent est un serpent », dit un adage local.

« Quand Umar se met à pleurer, les autres se moquent de lui en lui disant qu’il peut toujours aller rejoindre son père dans la brousse », raconte sa mère adoptive. « Ils ne lui montrent aucun amour ».

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