Tribune. Il faut refuser le dilemme "Moi ou le chaos"

Par La Rédaction

La meilleure sécurité pour les libertés individuelles et collectives est à chercher dans les institutions. Tribune de Younes Benmoumen.

Notre Constitution avait annoncé des principes universalistes. Elle avait proclamé toutes les libertés, en semant cependant quelques ambiguïtés : des valeurs immuables par ci, quelques lois organiques à venir par là.

Nous avons pu constater ces derniers mois que notre Constitution, et avec elle nos libertés, se feront de plus en plus timides à mesure que la foule se fera furieuse. Compterons-nous sur l’Etat, la police, la justice pour nous en préserver ? Entre la fureur des foules et la placidité du pouvoir, il nous faut maintenant choisir. Pour avoir nos libertés individuelles, il faudrait être prêt à mitiger nos libertés politiques.

Cette alternative aujourd’hui claire annonce une trajectoire effrayante. Tant d’exemples régionaux sont là pour nous le rappeler, jusqu’à notre voisin immédiat. Il y a vingt ans, la junte militaire algérienne prenait cette décision, le pays entier l’a payé d’une décennie de guerre civile.

S’il est un argument dont toute personne raisonnable devrait aujourd’hui se prémunir, c’est celui d’un régime qui annonce à la face du monde en général et à celle de l’Occident en particulier : « Moi ou le chaos ». Parce que dès lors, sa pérennité dépend de l’existence d’un chaos dont il nous protège.

Ma conviction est que notre système politique génère la violence et l’obscurantisme dont il prétend par la suite nous protéger. Et les libéraux marocains, dont une partie non négligeable n’est pas démocrate, se rangent derrière lui. Les libéraux égyptiens ont largement salué le putsch de Sissi. Que font-ils aujourd’hui ? Ils se taisent honteusement.

Le danger pour les libertés individuelles est aujourd’hui palpable. L’existence des libertés politiques n’est toujours pas acquise, mais dans les deux cas, la seule réponse d’avenir réside dans l’édifice politique et institutionnel supposé nous en préserver. En un mot? Dans l’Etat de droit, réglé par la Constitution.

Or, pendant que les polémiques se succèdent, quelque chose est en train de faire son bonhomme de chemin, dans la plus grande discrétion.Ce quelque chose, c’est l’architecture institutionnelle de l’Etat marocain. Je veux parler des lois organiques.

En effet, les lois sont dites « organiques » parce qu’elles prévoient le fonctionnement des services publics, des administrations d’Etat et des collectivités territoriales. Elles définissent également qui peut être élu, et selon quelle procédure.

En soi, les lois organiques ne garantissent pas seules l’existence d’un Etat de droit démocratique, mais elles constituent parmi les outils les plus importants de la mise en œuvre des principes constitutionnels. Si l’on vous proclame l’indépendance de la justice, allez lire la loi organique sur le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. On vous promet le droit de grève depuis 1962 ? On oublie, depuis, le texte qui permet d’encadrer sa pratique.

La constitution de 2011 a laissé 19 portes ouvertes pour transformer en pratiques les principes qu’elle énonce en théorie. Jour après jour, dans la plus grande discrétion, ces portes sont refermées et verrouillées. Si peu de débat, si peu de négociations ouvertes : le train passe et nous regardons ailleurs. 19 lois organiques étaient prévues par la constitution. 20 si l’on compte l’article 171, qui par la grâce d’une seule phrase prévoit la création de 10 institutions constitutionnelles.

Le seul mois de juin qui vient de s’achever a vu le Parlement adopter ou amender 4 lois organiques relatives :

–       Aux partis politiques, qui avait déjà été adoptée en 2011 pour permettre les dernières élections et qui a été modifiée pour les prochaines ;

–       Aux collectivités territoriales, leur composition, fonctionnement etc. Celle-ci a fait un peu plus de bruit, puisque le Ministère de l’Intérieur, pour une raison probablement d’Etat, a jugé nécessaire de permettre aux repris de justice et aux analphabètes d’être présidents de commune.

Pourquoi ce rythme effréné ? Pourquoi cette discrétion ? Un curieux petit article de notre Constitution, le 86ème en l’occurrence, nous explique pourquoi :

« Article 86 :

Les lois organiques prévues par la présente Constitution doivent avoir été soumises pour approbation au Parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution. »

Par conséquent, nous pouvons être certains qu’après toutes les tempêtes et les controverses, les conditions du renouvellement de la même classe politique, des mêmes pratiques politiques seront assurées d’ici un an.Tout aura encore changé pour que rien ne change. Le pouvoir à l’origine de la crise que nous vivons, restera toujours celui vers qui l’on se tourne pour nous en préserver.

Parce qu’en dernier ressort, la meilleure sécurité pour les libertés individuelles et collectives est à chercher dans les institutions. En somme, l’adversaire, ce n’est pas la foule hurlante qui en est un effet, mais l’autoritarisme et l’irresponsabilité politique qui en sont la cause.