Costa-Gavras: «On ne peut pas lutter contre la censure économique au cinéma»

Censure, politique, la place du cinéma dans le monde... De passage à Rabat, le réalisateur franco-grec Costa-Gavras nous délivre sa vision du cinéma.

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Costa Gavras
Le réalisateur Costa-Gavras. Crédit : AFP

Chacun de ses films crée une polémique, un scandale presque. C’est que le cinéaste franco-grec Costa-Gavras dénonce le pouvoir sous toutes ses formes. Son film Z dépeint la dictature des colonels grecs, L’aveu, est un réquisitoire contre le communisme, tandis que Missing raconte l’implication des Américains dans le putsch contre le président Salvador Allende. A l’occasion de la semaine de la francophonie au cours duquel son film Capital a été projeté, nous sommes partis à la rencontre de ce cinéaste octogénaire qui aura marqué le cinéma mondial de son empreinte.

Bande-annonce de Capital

Qui dit Costa-Gavras pense forcément à Z, L’aveu ou Amen, des films éminemment politiques. La politique est-elle encore aujourd’hui votre moteur principal ?

Selon Roland Barthes, il est possible d’analyser politiquement toute œuvre cinématographique et je le crois profondément. On s’adresse à des milliers voire à des millions de personnes quand on fait un film, ce qui peut influencer et jouer un rôle politique sur le spectateur même quand celui-ci s’y désintéresse complètement. Il en va de même pour le théâtre ou la littérature puisqu’ils agissent sur nous de manière politique. Il ne faut pas croire que la politique, c’est pour qui vous votez à la fin de l’année ou tous les quatre, cinq ans. C’est plutôt le comportement que nous avons tous dans la vie quotidienne et cette relation de pouvoir que nous avons les uns avec les autres.

Les Grecs anciens disaient qu’une idéologie naît, grandit et se meurt. Puis une autre idéologie surgit, etc. Le monde va ainsi depuis toujours. Il n’existe pas de mort des idéologies ou alors, ce serait en soi un positionnement idéologique. En étudiant le cinéma à l’Institut des hautes études cinématographiques (à Paris) et en le découvrant à la Cinémathèque française, il m’a semblé que les œuvres les plus importantes étaient celles qui parlaient du monde. Un film comme Les rapaces d’Eric von Stroheim m’a beaucoup marqué par exemple. J’y ai découvert un monde extraordinaire qui parle déjà de l’argent, de l’envie d’en avoir de plus en plus et de la rapacité que vit la société depuis toujours. Un film muet, pourtant résolument moderne ! Mon positionnement politique s’explique aussi par le fait que je viens d’une tradition théâtrale qui date de plus de 2 500 ans, et dans laquelle on analysait déjà la société.

Beaucoup de vos films ont suscité la polémique : L’aveu par exemple dans lequel vous démystifiez le stalinisme ou Missing racontant l’implication des Américains dans le putsch contre le président Salvador Allende, ou encore votre dernier film, Le Capital, dans lequel vous dénoncez le capitalisme sauvage. Ces débats et batailles que vous avez menés vous ont-ils construit en tant que cinéaste ?

Les débats qui ont suivi tous ces films-là ont augmenté de plus en plus la responsabilité du film d’après. Par exemple, quand j’ai fait Z, je me suis aperçu que la responsabilité était énorme pour faire L’Aveu ensuite. Il fallait absolument que chaque chose soit adéquate, vraie. Qu’on n’utilise pas je-ne-sais quels trucs cinématographiques ou dramatiques pour attirer le spectateur. Pour Missing ou Amen c’était pareil. On en arrive à privilégier l’éthique des films et de leurs personnages plutôt qu’à jouer sur l’attractivité que peut avoir la mise en scène sur le spectateur.

Extrait de L’aveu

Vous êtes le producteur du film Maintenant, ils peuvent venir de Salem Brahimi. Un film qui, fait rare dans votre carrière, n’a pas trouvé de distributeur. La censure économique est-elle encore plus forte que la politique?

On ne peut pas se battre contre la censure économique. Si un distributeur vous dit que votre film ne l’intéresse pas, c’est sa liberté et elle est respectable. Mais je suis convaincu qu’on finira par le présenter car c’est un beau film. Salem Brahimi est entré chez nous comme stagiaire. Il est devenu 2e puis 1er assistant, puis conseiller pour mes scénarios. Un jour, il est venu avec cette histoire qui se passe durant la période tragique des années 1990 en Algérie. Il y raconte comment se faisait la pénétration par petits bouts des islamistes qui s’imposaient peu à peu et qui ont fini par prendre le pouvoir. C’est ce drame-là que le film conte et je pense qu’il est important de le raconter puisque c’est un sujet encore présent malheureusement. On verra pour la distribution, je ne suis pas inquiet.

Avec Sanaâ Eddaif

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