M20. Le retour du bâton

“J’ai joué mon rôle d’intellectuel engagé en critiquant les faux pas du Mouvement du 20-février”, se défend Fouad Laroui.

Emprisonnements en série, répression tous azimuts, black-out médiatique… les jeunes militants du Printemps marocain sont plus que jamais dans le viseur des autorités. Le point.

Le 12 septembre, c’est au cri de “Vive le peuple” qu’en début d’après-midi, les nombreux amis des 5 détenus dits de “Bernoussi” ont accueilli le verdict prononcé par le Tribunal de première instance de Ain Sebaâ à l’encontre de leurs camarades. Ceux-ci ont écopé de huit à dix mois de prison ferme, tandis qu’une sixième militante a été condamnée à six mois de prison avec sursis, dans un procès que les défenseurs des droits de l’homme ont qualifié de politique. Un an et demi après le déclenchement des manifestations du 20 février, le régime n’a jamais autant pris le dessus sur le mouvement contestataire, désormais dos au mur. Le M20 compte aujourd’hui plus d’une soixantaine de ses militants en prison. Ce qui contredit les annonces du ministre de la Justice, Mustafa Ramid, qui nie toute présence de détenus politiques dans les geôles marocaines. Quant aux médias, ils persistent pour la plupart à faire la sourde oreille ; et la tolérance du régime vis-à-vis des manifestations n’est plus d’actualité. Si certains semblent s’étonner de la tournure répressive que prennent les évènements, d’autres, plus lucides, ont clairement remarqué que c’est doucement, mais sûrement, que l’Etat a resserré les vis.

 

Quand Benky nie

En fait, la fin de la “récréation” décrétée par le régime a débuté il y a bien longtemps. Plus précisément, au lendemain du référendum pour la Constitution, le 1er juillet 2011. Avec près de 99% de Oui, il n’y avait, selon le Pouvoir, plus de place à la contestation : le peuple avait dit son mot ! Tandis que l’avènement du PJD aux commandes du nouveau gouvernement n’a fait, a contrario, que délégitimer, aux yeux du pouvoir, toute voix dissonante. En pleine campagne électorale déjà, le mouvement pro-boycott lancé par le M20 avait été systématiquement réprimé, et les manifestations dispersées. Une fois le PJD au Pouvoir, les choses ne se sont pas améliorées pour autant.  Et c’est d’ailleurs le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane himself, qui, dans une déclaration à El País, avait prétendu qu’il n’y avait plus de manifestations au Maroc. Une manière de dire “circulez, il n’y a plus rien à voir !”

 

Condamnations en série

Autre coup dur accusé par les jeunes du M20 : leur divorce avec la puissante Jamaâ d’Al Adl Wal Ihsane en décembre 2011. Réduits à quelques centaines de militants lors de leurs sorties dominicales, ce qui reste du M20 (militants de la gauche radicale ajoutés à quelques jeunes démocrates indépendants) ne faisaient plus le poids face à une machine makhzénienne qui a retrouvé toute sa superbe. Braqués sur le champ de bataille syrien, les médias étrangers ont quant à eux indirectement joué un rôle dans la reprise en main des mouvements contestataires par le régime. Sans couverture médiatique, nationale ou étrangère, les jeunes étaient livrés à eux-mêmes.

Début 2012, les procès ont repris de plus belle. A Taza, 17 manifestants avaient totalisé quelque 95 mois de prison suite aux évènements survenus en début d’année dans cette petite bourgade frappée par le chômage. Vint ensuite le tour du rappeur engagé Mouad L7a9ed, qui a retrouvé les geôles quelques mois à peine après sa libération. En juin, la police de Marrakech avait arrêté le blogueur anarchiste Mohamed Sokrate, dans une douteuse affaire de trafic de drogue. Un mois plus tard, un jeune militant du M20, Saïd Ziani, avait également été arrêté, dans un silence assourdissant des médias, avant que s’ouvre, fin août, le procès des six militants du M20, dont cinq avaient été arrêtés suite à une manifestation qui s’était déroulée à Sidi  Bernoussi à Casablanca. Ceux-ci avaient créé l’émoi lors de leur première comparution, en accusant la police de les avoir violés à l’aide notamment de manches à balai, et ce en présence de leurs propres familles. Les associations ont crié au scandale. L’OMDH (Organisation marocaine des droits de l’homme) a demandé l’ouverture d’une enquête. Rien n’y fait, les allégations de torture ont été tout bonnement ignorées par les magistrats. La suite, on la connaît : les détenus de “Bernoussi” ont écopé, au total, de 46 mois de prison ferme.

 

Back to black

“Le verdict m’a évidemment scandalisé”, s’est ému l’ancien usfpéiste Omar Balafrej. “On est dans la continuité. Les arrestations ont commencé avec Mouad (L7a9ed), et un accord tacite semble avoir été conclu entre le gouvernement et la monarchie pour en finir avec le Mouvement du 20 février”, s’est-il insurgé. La complicité présumée du PJD dans le durcissement opéré par le régime est partagée par bon nombre d’observateurs, de gauche pour la plupart. “Le régime veut récupérer l’étiquette moderniste et paraître comme la seule alternative possible pour contrer les islamistes”, ajoute Balafrej. Meurtris, dispersés, désorganisés, les jeunes févriéristes semblent toucher le fond. “Je pense que ce n’est plus en tant que mouvement, mais en tant que militants que les jeunes du M20 doivent se réorganiser. Nombre d’entre eux sont de gauche et progressistes, et il est nécessaire qu’ils s’investissent davantage”, recommande Balafrej. Serait-ce un appel lancé aux jeunes pour créer de nouvelles formations politiques ? “Oui”, affirme-t-il, déplorant toutefois le “blocage” opéré par les autorités face à ceux qui souhaitent créer de nouveaux partis. “L’avenir proche paraît très sombre. Le côté positif demeure néanmoins dans les militants eux-mêmes, qui, contre vents et marées, continuent à exister”, tient-il à positiver. Jusqu’à quand ?

 

Nostalgie. Les 30 glorieuses du M20

On a du mal à s’en souvenir, mais au tout début du déclenchement du “Printemps marocain”, le Mouvement du 20 février avait le vent en poupe. Il s’agit de la période entre la première manif’, celle du 20 février 2011, et celle qui lui a succédé, le dimanche 20 mars. Des centaines de milliers de personnes sont sorties réclamer haut et fort la démocratisation du régime durant ce mois. Contrairement à aujourd’hui, différentes tendances politiques et couches sociales coexistaient alors dans les gigantesques cortèges qui sillonnaient les villes du royaume. A cette époque-là, Mustafa Ramid criait avec véhémence son rejet de “la répression et du despotisme”, et des familles entières n’hésitaient pas à braver le danger en manifestant leur ras-le-bol. De son côté, le roi prononçait un discours “historique” le 9 mars, suscitant un immense espoir au sein de la population. La preuve, même les journalistes de la sacro-sainte MAP avaient (osé) organiser un sit-in devant leurs locaux. Souvenez-vous aussi de la sortie du vice-président de l’AMDH, Abdelhamid Amine, qui avait dénoncé les archaïsmes de la monarchie, en direct à la télévision publique. Mais la fête aura été de courte durée. Après la mise en place de la commission Mennouni, la répression a graduellement regagné du terrain, et le Pouvoir a joué à la perfection sa stratégie de containment, jusqu’à faire oublier ces courtes, mais euphoriques 30 (journées) glorieuses.

 

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