Amal El Amri. Le beau visage du syndicalisme

Pasionaria de l’Union marocaine du travail, c’est l’une des principales organisatrices de la grand-messe du 1er mai. TelQuel l’a accompagnée le long d’une journée de préparatifs. Reportage.

Huitième étage du siège de l’Union marocaine du travail (UMT). Trois jours avant le 1er mai, Miloud Moukharik, le secrétaire général de la centrale, peaufine le discours qu’il lira aux masses laborieuses lors de la fête du travail. A ses côtés ce matin, pour l’aider dans sa tâche, une femme charmante, du genre “qui présente bien” : Amal El Amri. A 52 ans, celle qu’on surnomme la dame de cœur du syndicalisme marocain possède un nombre de casquettes incalculable. A la volée, on saisit qu’elle siège au secrétariat national de l’UMT (où elle émarge depuis 1995), qu’elle gère aussi le bureau des relations internationales de la centrale (elle parle parfaitement français, anglais et arabe), qu’elle est à la tête de la fédération des employés de banque, qu’elle participe aux travaux de la commission technique chargée de la réforme des retraites, qu’elle est membre de l’Agence nationale de l’assurance maladie… Il y a peu, elle siégeait aussi au parlement sous l’étiquette du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Et il ne s’agit là que d’un humble échantillon de son long CV.

Une conscience politique innée

Pour Amal, tout a commencé au lycée, à Meknès, où elle a organisé sa première manifestation pour exiger le remplacement d’un professeur d’anglais. Fille d’un enseignant engagé, elle explique que sa conscience politique s’est forgée “naturellement, instinctivement”. Plus tard, étudiante en droit à la fac de Fès, elle sympathise avec des basistes, aux côtés desquels elle manifeste régulièrement… Ce qui ne manquera pas de lui apporter quelques tracas et d’écoper de temps à autre de quelques coups bien sentis. “En vérité, je n’ai jamais subi la violente répression qui s’est abattue sur de nombreuses personnes. Mais ma conscience, elle, s’est aiguisée”. Plus rien n’arrêtera Amal, qui se bat bec et ongles pour les valeurs qui lui sont chères. Des années plus tard, alors qu’elle est employée de banque, elle décide de mettre à profit ses connaissances juridiques pour défendre ses collègues. En 2001, l’entreprise dans laquelle elle est employée connaît une fusion. “Comme à chaque fois dans ce genre de cas, les salariés sont effrayés”. Alors elle monte au créneau, se taille une réputation dans le syndicat et prend la tête de la fédération de son secteur. Depuis, elle ne s’est jamais arrêtée, ni de se dédier à la défense des travailleurs, ni de monter en grade.

L’étoffe d’un chef

Retour au siège de l’UMT. Nous suivons Amal, qui quitte le bureau du zaïm pour se rendre dans une pièce occupée par les membres de la section féminine du syndicat. Ces dernières s’activent à concevoir des banderoles et pancartes sur l’égalité des sexes. “Ces femmes prendront la tête du défilé le 1er mai, c’est un symbole important”, précise Amal, qui vérifie les slogans avant de ressortir. Elle descend au rez-de-chaussée pour assister à un meeting qui scelle la naissance d’une fédération des employés du ministère de l’Intérieur. Là, elle monte sur la tribune, discourt sur les libertés syndicales puis enchaîne sur l’importance d’élire des femmes à la tête de la fédération dès sa naissance. L’assistance applaudit chaleureusement son intervention. Des militants anonymes se pressent autour d’elle pour se prendre en photo à ses côtés. Après avoir pris la pose une dizaine de fois, Amal remonte dans les bureaux, au pas de course.

Sur le chemin, pas un camarade qui ne lui lance un aimable sourire, une félicitation pour avoir récemment mouché, lors d’une émission sur 2M, Hamid Chabat —de l’UGTM, le syndicat concurrent—, ou qui ne lui réclame un rendez-vous pour se pencher sur tel ou tel sujet. Trouve-t-elle de temps en temps un moment pour se reposer ? “Je tire un peu sur la corde”, admet-elle. Car c’est sans compter qu’elle élève seule deux enfants : “Deux petits jumeaux que j’ai adoptés”. Amal, dans le civil est une mère célibataire assumée.

Zaïma dans un monde d’hommes

Dans le couloir, une bande de gros costauds moustachus en cuir se paient une bonne tranche de rire. “Moins de bruit s’il vous plaît”, intervient Amal. Ces messieurs s’exécutent et se retranchent dans un bureau pour poursuivre leur discussion au calme. “Cela a été difficile de se faire une place dans ce monde très masculin”, concède Amal, qui ajoute : “Au début, j’ai dû hausser la voix, parler plus fort que les autres, ne pas me laisser marcher sur les pieds et montrer ma détermination, mais aujourd’hui, je suis très respectée”. Consciente de l’importance de s’adjoindre la force des femmes, “qui souffrent souvent encore plus au travail que les hommes et sont bien plus frappées par la précarité”, elle milite au sein du syndicat pour obtenir la parité totale dans les instances décisionnelles. “Nous avons récemment imposé un quota : 20% des membres des instances dirigeantes doivent être des femmes. Bientôt, nous exigerons un tiers pour atteindre 50% un jour”, explique-t-elle, avant de prendre congé. Lorsque nous la quittons, il fait presque nuit, mais la journée d’Amal El Amri est loin d’être terminée. Elle doit encore aller vérifier, dans un énième bureau de la centrale syndicale, le travail d’un petit groupe qui planche sur le parcours du défilé du 1er mai. Le jour J, nous la retrouvons, courant entre le cortège des femmes et celui de son secteur d’activité, accueillant les intervenants devant la tribune, occupée et pressée comme à son habitude, mais heureuse : “C’est un beau défilé et, en plus, le soleil est avec nous !” s’exclame-t-elle. Courage, persévérance et perfectionnisme, telle pourrait être la devise de cette pasionaria du militantisme. 

 

1er Mai 2012. Le droit de grève à l’honneur

Comme chaque année, les syndicats se donnent rendez-vous dans toutes les grandes villes du pays le 1er mai, journée internationale des travailleurs. Cette fois encore, la plupart des centrales syndicales défileront, notamment pour montrer au gouvernement leur opposition au projet de loi organique sur la grève, sur laquelle une commission créée au mois d’avril planche déjà. Cette loi devrait prévoir l’instauration d’un pourcentage minimum de salariés pour légitimer un mouvement de grève et rendre obligatoire un préavis de dix jours avant tout débrayage. Amal El Amri tire la sonnette d’alarme : “En guise de premier dialogue social, nous avons droit à un projet de loi limitant le droit de grève qui va totalement à l’encontre de la nouvelle Constitution, qui accorde une large place aux libertés syndicales. Nous voulons montrer que nous saurons rester vigilants”.

 

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