Dans un monde où la transformation numérique s’accélère à un rythme sans précédent, comment la cybersécurité s’impose-t-elle comme un enjeu économique majeur ?
La cybersécurité n’est plus une discipline technique cantonnée aux départements informatiques. Elle est devenue un levier stratégique de compétitivité, un facteur de stabilité économique, un vecteur de création d’emploi et, de plus en plus, un sujet de souveraineté nationale. Nous évoluons dans un environnement où les frontières physiques ont été supplantées par des frontières numériques, infiniment plus poreuses. Les cyberattaques ne visent plus seulement les infrastructures critiques, elles ciblent nos systèmes de santé, nos processus démocratiques et nos chaînes d’approvisionnement mondialisées.
Et sur les plans géopolitique et sociétal ?
l’échelle géopolitique, la cybersécurité est un instrument de puissance. La capacité d’un État ou d’un acteur économique à protéger ses actifs numériques conditionne sa capacité à innover, à inspirer confiance, et à se projeter durablement dans l’avenir. Sur le plan sociétal, elle est aussi devenue une condition essentielle pour garantir les droits fondamentaux à l’ère numérique, comme la vie privée, la sécurité des données personnelles ou la continuité des services publics.
Dans ce contexte, comment évaluer la maturité du tissu économique marocain face aux menaces cyber ? Et quels sont les leviers concrets pour renforcer notre résilience nationale ?
Le Maroc a incontestablement franchi un cap en matière de sensibilisation et de structuration. La montée en puissance législative et régalienne d’organismes comme la DGSSI, la CNDP, la montée en puissance des CSIRT (dispositifs de réponse aux incidents critiques) sectoriels, et la présence de leaders internationaux sur le sol marocain, comme d’ailleurs Deloitte, via le Deloitte Morocco Cyber Center, sont autant d’indicateurs d’un écosystème en consolidation. Cela dit, la maturité reste inégale. Les grands groupes doivent encore accélérer, et les PME ou opérateurs publics territoriaux sont souvent vulnérables. La priorité est de démocratiser la cybersécurité : rendre accessibles des solutions robustes, professionnaliser la réponse aux incidents, et intégrer la sécurité dès la conception des projets numériques. À cela s’ajoute un enjeu fondamental de coordination : la cybersécurité ne peut plus être traitée en silos. Elle doit s’inscrire dans une approche systémique, multi-acteurs, à l’échelle nationale.
Quelles sont les innovations technologiques les plus disruptives ac- tuellement dans le domaine de la cybersécurité, et comment redéfinissent-elles les modèles traditionnels de défense ?
Nous assistons à une double rupture : d’un côté, une sophistication inédite des menaces, de l’autre, une montée en puissance de technologies capables de redéfinir les paradigmes de la défense. L’intelligence artificielle, en particulier, joue un rôle central : les modèles de Machine Learning permettent aujourd’hui de détecter des anomalies comportementales subtiles, de prédire des attaques, voire d’automatiser certaines réponses en temps réel. La blockchain offre aussi des cas d’usage intéressants, notamment en matière de traçabilité, d’identités décentralisées, ou de protection des données dans des environnements distribués. Et avec l’arrivée imminente de l’informatique quantique, nous allons devoir reconsidérer en profondeur nos standards cryptographiques.
Quel rôle aspire à jouer le Deloitte Morocco Cyber Center dans ce nouveau paysage, à la fois hyper-technologique et profondément humain ?
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’à l’échelle mondiale Deloitte est le leader de la cybsersécurité, que ce soit en chiffres d’affaires, en nombre d’experts (plus 25.000) ou bien en distinctions. Sur le Maroc et plus globalement l’Afrique, notre ambition est claire : positionner le Deloitte Morocco Cyber Center comme un hub régional d’excellence en cybersécurité, capable d’apporter une valeur stratégique à nos clients marocains, africains et internationaux. Nous combinons une expertise locale fine, ancrée dans la réalité du tissu économique africain, combinée avec un accès direct et inégalé à l’ensemble du réseau global de Deloitte, notamment nos centres de veille, nos laboratoires de recherche, et nos experts internationaux. Mais au-delà des outils et des méthodologies, notre rôle est aussi de former, d’inspirer et de fédérer. Nous avons besoin d’un vivier de talents africains pour relever les défis à venir. C’est pourquoi nous investissons activement dans le développement des compétences, la montée en expertise des jeunes ingénieurs, et la création d’un écosystème de confiance autour de la sécurité numérique pour exporter au-delà de la région.
En matière d’emploi, la cybersécurité est souvent présentée comme un gisement de croissance. Mais comment faire en sorte que cette promesse devienne une réalité inclusive et durable, notamment pour la jeunesse marocaine ?
La cybersécurité est sans doute l’un des rares secteurs où la demande excède l’offre de façon structurelle et mondiale. On estime à plus de 4 millions le nombre de postes non pourvus dans le monde. Pour le Maroc, c’est une opportunité formidable, mais à condition de mettre en place les bonnes passerelles entre le monde académique, les institutions de formation et les besoins réels des entreprises.
Il faut également une véritable prise de conscience des décideurs publics et privés sur cette opportunité unique et historique en matière de création d’emploi. Les Marocains sont jeunes, talentueux en mathématiques et doués en informatique. Il faut en profiter et investir.
Quel message final souhaitez-vous adresser aux dirigeants d’entreprise et aux décideurs publics marocains sur la place stratégique que doit occuper la cybersécurité dans leurs priorités ?
Je leur dirai ceci : la cybersécurité n’est pas une option. C’est une condition de pérennité. Il ne s’agit pas seulement de se protéger contre des risques, mais d’activer de nouvelles capacités, d’innover en confiance, de créer de la valeur durable, de protéger ses clients, ses données, son image…La cybersécurité ne peut plus être traitée comme un sujet d’experts, à la marge des décisions stratégiques. Elle doit devenir un réflexe de gouvernance. Et dans un monde interconnecté, aucun acteur ne peut y arriver seul : la coopération, la mutualisation et l’intelligence collective sont nos meilleures armes face à des menaces qui, elles, se professionnalisent à grande vitesse. La DGSSI l’a d’ailleurs parfaitement compris en accélérant les coopérations internationales. Au reste de l’écosystème économique de suivre la cadence.