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Aéronautique : le Maroc aux avant-postes, porté par l’excellence de son capital humain

Le Maroc, désormais classé au 23e rang mondial dans l’industrie aéronautique, s’impose comme un hub stratégique à l’échelle africaine et un acteur de poids sur l’échiquier mondial. Cette ascension fulgurante repose en grande partie sur un capital humain hautement qualifié, moteur de la compétitivité et de l’attractivité du pays auprès 
des géants de l’aéronautique.

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Sous les carlingues flamboyantes du Marrakech Air Show, qui s’est tenu du 30 octobre au 2 novembre, Safran a scellé un engagement majeur en faveur du développement des compétences aéronautiques au Maroc.

Deux jours après la signature d’un protocole d’accord pour la création d’un site de maintenance et de réparation des moteurs d’avions LEAP — un événement marquant tenu en marge de la visite du président français Emmanuel Macron au Maroc et en présence du Roi Mohammed VI — l’entreprise française a dévoilé un partenariat stratégique avec le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS).

Cet accord, qui s’inscrit dans une vision de long terme, prévoit la formation de 60 à 100 stagiaires par an dès le premier trimestre 2025. Ces futurs techniciens bénéficieront de l’expertise de l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA), une institution de premier plan qui joue un rôle clé dans le développement des compétences nécessaires pour répondre aux exigences de cette industrie de pointe.

À terme, ce nouveau site de Safran, qui sera installé à Midparc, emploiera plus de 600 personnes et disposera d’une capacité de maintenance de 150 moteurs par an, permettant ainsi de répondre au succès du moteur LEAP, qui équipe les nouvelles générations d’avions monocouloirs Airbus A320 Neo, Boeing 737 MAX et COMAC C919.

Le deal Safran-Gimas comporte une composante formation.Crédit: DR

“Je suis ravi de renforcer nos partenariats avec ces acteurs de premier plan qui nous permettront de bénéficier des meilleurs standards en termes de formation, d’infrastructures et de performance bas carbone”, s’est réjoui Jean-Paul Alary, président de Safran Aircraft Engines en marge de ces signatures au Salon de Marrakech.

L’histoire d’une réussite

Ce dernier partenariat entre les acteurs de l’aéronautique marocains et le groupe Safran, coïncidant avec le 25e anniversaire du secteur, revêt une portée symbolique qui ne manque pas d’éloquence. Pour en saisir toute la profondeur, replongeons brièvement dans l’histoire.

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En 1999 la Royal Air Maroc (RAM) et Safran posaient ensemble les premières pierres de ce qui allait devenir un véritable fleuron industriel : un projet ambitieux pour l’entretien et la réparation des moteurs, marquant ainsi l’entrée décisive du Maroc dans l’univers complexe et exigeant de l’aéronautique.

“Nous souhaitons surtout tirer parti de la conjoncture actuelle (avec) une crise mondiale dans la supply chain et une pénurie de ressources humaines qualifiées.  Face à la concurrence de l’Inde ou la Chine, notre objectif est de nous positionner clairement en numéro 1”

Adil Jalali, président du GIMAS et de l’IMA, ainsi que COO de la RAM

Témoin de cette évolution historique, Adil Jalali, président du GIMAS et de l’IMA, ainsi que COO de la RAM, souligne le rôle central de la compagnie, toujours engagée dans plusieurs projets industriels aux côtés d’acteurs de renom.

“L’ambition aujourd’hui est d’aller encore plus loin, en misant sur la position de la RAM comme acteur industriel majeur capable d’attirer de nouvelles opportunités et projets. Nous souhaitons surtout tirer parti de la conjoncture actuelle, marquée par une crise mondiale dans la supply chain et une pénurie de ressources humaines qualifiées. Ce sont deux occasions que le Maroc doit saisir pleinement. Face à la concurrence de plateformes telles que l’Inde ou la Chine, notre objectif est de nous positionner clairement en numéro 1”.

Dès le début des années 2000, le royaume amorçait une montée en puissance en produisant des câblages électriques pour l’aviation, ouvrant ainsi la voie à une ambition internationale sans précédent. L’objectif était clair : ériger le Maroc en acteur incontournable de la chaîne de valeur aéronautique mondiale et en destination privilégiée pour toutes les opérations de maintenance et de production dans le secteur.

Cette vision s’est concrétisée par la mise en place de six écosystèmes intégrés de haute performance, couvrant des domaines aussi stratégiques que l’assemblage, l’ingénierie, la maintenance, le câblage électrique, ainsi que la production de moteurs et de leurs composants. S’ajoutent à cela deux systèmes d’approvisionnement de grande envergure, fondés sur des partenariats étroits avec des géants de l’aviation : Boeing et Collins.

Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le Maroc s’affirme comme un hub régional pour l’industrie aéronautique en Afrique et a gravé son nom à l’échelle mondiale, passant du 36e rang en 2012 au 26e rang en 2023.

Le secteur compte près de 140 entreprises de renommée mondiale, telles que Boeing, Airbus, Safran, et Pratt & Whitney. Les exportations du secteur ont atteint 23 milliards de dirhams en 2023, triplant ainsi par rapport à 2013. Par ailleurs, le taux de pénétration locale a connu un essor remarquable, passant de 17% en 2014 à plus de 40% aujourd’hui.

Un développement axé sur le capital humain

Lors de la cérémonie d’ouverture du Marrakech Air Show, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, a mis en lumière les moteurs de l’essor spectaculaire du secteur aéronautique marocain.

Le secteur aéronautique au Maroc a pu décoller grâce à la stabilité politique et macroéconomique, aux infrastructures modernes, à un accès facilité aux marchés, à une main-d’œuvre hautement qualifiée, à une compétitivité accrue des coûts, à une qualité de livraison ponctuelle, aux énergies renouvelables et aux incitations gouvernementales attractives”, a-t-il affirmé, visiblement fier.

Pour le ministre, l’abondance d’un capital humain qualifié constitue un atout stratégique de poids dans l’attraction des investissements étrangers en aéronautique. Le Maroc a ainsi fait du développement des compétences une priorité absolue pour asseoir son statut de hub régional et de pôle de référence pour les grands acteurs mondiaux.

Le succès est indéniable : les effectifs dans le secteur ont atteint 20.000 en 2023, contre à peine 1000 à ses débuts, avec une part féminine remarquable de 42%

Ce succès est indéniable : les effectifs dans le secteur ont atteint 20.000 en 2023, contre à peine 1000 à ses débuts, avec une part féminine remarquable de 42%. En outre, un emploi sur deux dans cette industrie est aujourd’hui classé comme hautement qualifié, un indicateur de l’excellence qui s’y cultive.

“Ce niveau de qualification élevé se traduit également par des rémunérations avantageuses”, a précisé le ministre, soulignant que les salaires dans le secteur aéronautique sont en moyenne deux fois plus élevés que dans les autres secteurs manufacturiers. La qualification de cette main-d’œuvre repose sur un dispositif de formation aéronautique exhaustif qui couvre l’essentiel des écosystèmes du secteur, et qui se compose de deux instituts de formation distincts mais totalement complémentaires.

Tout d’abord, l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA), spécialisé dans les qualifications liées aux métiers de la fabrication, et présidé par Adil Jalali, également à la tête du GIMAS. Selon Ryad Mezzour, 15.000 des 24.000 professionnels du secteur ont été formés à l’IMA, avec un taux d’employabilité impressionnant de 99%.

L’écosystème est avant tout une opportunité pour le secteur aérien national.Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

“Cet institut est une grande fierté pour le Maroc”, a-t-il déclaré, en annonçant l’ambition du royaume de doubler la capacité d’accueil de l’IMA d’ici deux ans. Cette expansion est cruciale pour atteindre l’objectif du Maroc de doubler les emplois dans le secteur, en créant 25 000 nouveaux postes d’ici 2030.

Ensuite, vient l’Institut Spécialisé des Métiers de l’Aéronautique et de la Logistique Aéroportuaire (ISMALA), qui fait l’objet d’un Partenariat Public Privé entre l’OFPPT et le GIMAS, axé sur une gestion déléguée de l’établissement aux professionnels du secteur afin de rapprocher au plus près leurs attentes en termes de qualification, à la carte de formation dispensée au sein de l’établissement.

C’est dans ce cadre que la gestion de l’établissement a été confiée à RAM en 2019, afin de développer les formations liées aux services aéronautiques, et spécialement à la Maintenance Aéronautique. Le partenariat stipule la création d’une société anonyme (ISMALA.SA) chargée de la gestion de l’établissement, susceptible de conférer à l’institut l’agilité nécessaire pour accompagner les professionnels du MRO à se développer et à diversifier leurs capacités internes.

“Nos formations réglementaires liées au MRO sont agréées par la Direction de l’Aviation Civile (DAC) Marocaine, qui s’assure de la qualité et de la conformité de nos cursus relativement aux standards internationaux de la maintenance aéronautique”, assure Siham Ouzine, directrice RAM chargée de la gestion de l’ISMALA depuis septembre 2019, et de la concrétisation du partenariat public-privé à travers la création et la mise en marche d’ISMALA.SA.

Les moyens mis à disposition par la RAM dans ce partenariat ont permis entre autres à l’établissement d’“élargir son agrément DAC à plusieurs nouvelles formations MRO, à travers des équipements de pointe dans les ateliers de l’institut, ainsi que la présence de formateurs hautement qualifiés dans le domaine, sans oublier l’expertise en termes de gestion dans un écosystème à forte maîtrise technique, et d’une grande exigence réglementaire”, confie Adil Jalali, futur président du conseil d’administration d’ISMALA.SA, en sa qualité de président du GIMAS.

Les défis sur la piste d’envol

La disponibilité d’un capital humain hautement qualifié est devenue un argument d’autorité pour séduire les géants de l’aéronautique au Maroc. Cependant, la formation de ces ressources et leur certification représentent un défi de taille pour les acteurs du secteur.

Et en particulier pour le GIMAS, organisation professionnelle représentant 97% du tissu industriel du secteur, qui œuvre pour renforcer la compétitivité de l’industrie aérospatiale marocaine, en fédérant les entreprises du secteur et en soutenant le développement de la formation, de la recherche et de l’innovation à l’échelle nationale et internationale.

Dans cet univers strictement réglementé, la formation aux métiers de l’aéronautique nécessite une approche pluridisciplinaire, intégrant théorie, pratique et, surtout, un ensemble de compétences comportementales.

Discipline et rigueur sont les maîtres-mots. “Les techniciens aéronautiques évolueront dans un environnement pluriculturel. Ils doivent non seulement posséder une expertise théorique et une capacité de mise en pratique, mais également savoir interagir avec leurs collègues étrangers, souvent en français ou en anglais. Plus encore, ils doivent faire preuve d’un respect scrupuleux des délais et des normes rigoureuses propres au secteur”, explique un formateur de l’IMA.

Il ajoute : “Chaque pièce d’un aéronef porte le code de son constructeur ; nous inculquons donc à nos stagiaires une méticulosité et un respect absolu des normes de qualité, car ils seront à jamais responsables de chaque pièce qu’ils auront produite”.

L’alignement sur les exigences réglementaires internationales est une condition sine qua non pour s’insérer dans ce secteur mondialisé. D’après les professionnels de l’aéronautique, il est crucial d’harmoniser les normes marocaines avec les standards internationaux afin de garantir une certification uniforme des techniciens et ingénieurs marocains.

Actuellement, les ressources humaines spécialisées doivent satisfaire aux exigences de multiples régulateurs, tant marocains qu’internationaux, tels que l’EASA pour la réparation des avions européens ou la FAA pour les avions américains. “L’harmonisation avec les normes internationales devrait faciliter la formation et la fidélisation des mécaniciens que nous formons”, déclare Loïc Gélébart, ex-directeur général d’Aerotechnic Industries (ATI), un joint-venture entre Air France KLM et Royal Air Maroc, à TelQuel.

Selon Ryad Mezzour, 15.000 des 24.000 professionnels du secteur ont été formés à l’IMA, avec un taux d’employabilité impressionnant de 99%Crédit: IMA

Former des ressources humaines qualifiées en nombre suffisant est un objectif partagé par le gouvernement, le GIMAS, les centres de formation aux métiers de l’aéronautique, ainsi que l’ensemble des acteurs du secteur. Mais il est tout aussi crucial de retenir ces talents.

“Dans l’aéronautique, chaque fin de mois devient une épreuve, avec la vague de démissions dans plusieurs ateliers et usines. Nos ressources humaines sont si précieuses que des opérateurs internationaux n’hésitent pas à les courtiser pour les attirer vers l’Allemagne, le Canada ou les pays du Golfe”, explique Maria El Filali, directrice générale du GIMAS.

Signataire au nom du GIMAS de l’accord avec le Groupe Safran, elle affirme qu’une des conditions à l’investissement du groupe pour ce nouvel investissement a été la capacité du Maroc à délivrer des compétences à une échéance bien précise.

Initialement prévue au sein de l’ISMALA, la formation des Techniciens Révision Propulseur a pu être déployée en un temps record au sein de l’IMA afin d’assurer la disponibilité des ressources dûment qualifiées au démarrage du projet.

“Nous espérons pouvoir rapidement concrétiser notre partenariat avec l’OFPPT et créer ISMALA.SA, nos atouts réunis nous permettront d’augmenter nos capacités de formation et surtout d’insérer plus de jeunes dans le secteur, qui sont tant demandés aujourd’hui”, indique Maria El Filali.

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