Les Marocains ne lisent pas ? Nadia Essalmi n’est pas d’accord sur ce point : “C’est une erreur que de dire que les Marocains ne lisent pas, nous l’avons prouvé avec notre festival et autres activités. Ils lisent, mais ils sont très exigeants au niveau de leurs choix de lecture”, confie-t-elle, le 23 septembre, lors de l’émission L’invité de la Rédaction, sur Medi1TV. Les dires de cette militante acharnée ne sont pas fortuits, mais bien fondés. Ce n’est pas un hasard si l’initiatrice de la première maison d’édition spécialisée dans la littérature jeunesse (Yomad Éditions) voit son festival s’envoler et gagner en importance et en notoriété, en peu de temps.
Lancé en 2017, “Littératures itinérantes” constitue, depuis, un événement littéraire incontournable, qui se présente comme un nouveau modèle de rencontres autour du livre, où le lecteur est recherché et mis à l’honneur, d’où le terme “itinérantes”, et où des écrivaines et écrivains sont à la disposition des visiteurs, dont le nombre atteint entre “10.000 et 14.000”, selon Nadia Essalmi.
Autant d’écrivaines que d’écrivains
L’idée d’un tel festival est de placer le lecteur, ou l’éventuel nouveau lecteur, au centre même du festival. Pour preuve, la manifestation ne cesse de voyager. Après Salé (2017), Casablanca, (2018), Marrakech (2019), Fès (2022), Tanger (2023), Littératures itinérantes fait escale dans la capitale.
Ainsi, Rabat réunira, le 5 octobre, 40 écrivains fraîchement primés entre 2023 et 2024. Vingt écrivaines et vingt écrivains plus précisément, la parité étant prioritaire pour Nadia Essalmi, qui viennent de 16 pays : Maroc, Algérie, Tunisie, Palestine, Égypte, Sénégal, Liban, Canada, États-Unis, Oman, Suisse, Belgique… Une majestueuse diversité tant linguistique que culturelle, qui veut profiter au plus grand nombre de lecteurs à travers le Royaume. Gratuitement, de surcroît !
Pour sa sixième édition, le festival interrogera les liens entre la “littérature” et les “mémoires”, à travers un programme riche en activités.
La Bibliothèque nationale du Royaume (BNRM) abritera, samedi 5 octobre, deux tables rondes. La première se déroulera en arabe, de 9 heures à 10 h 30. La deuxième, en français, commencera à 11 heures et prendra fin à 12 h 30. Les deux rencontres-débat s’inscrivent sous ce même thème : Littérature et mémoires.
Deux autres initiatives sont à découvrir : un concours international de nouvelles, dont les lauréats seront dévoilés à 13 heures, et un recueil de textes écrits par les 40 écrivain(e)s, sur le même thème. Objectif : laisser une trace, puisqu’il est question de “mémoires”.
À partir de 16 heures, direction le Parc Hassan II pour rencontrer les 40 écrivain(e)s qui présenteront et dédicaceront leurs livres. Trois conteurs, Abdelilah Khattabi (Maroc), Demba Mbaye (Sénégal) et Princesse Lety Tchouguen (Cameroun), émerveilleront les enfants de contes aussi bien en français qu’en arabe, laissant ainsi le temps aux parents de se balader tranquillement.
Khalid Lyamlahy : “La littérature est une école du regard et une invitation à la pensée critique”
TelQuel : Vous faites partie des 40 écrivains qui participent à la 6e édition de “Littératures itinérantes”, qui aura lieu à Rabat le 5 octobre. Dans un Maroc où l’on ne parle que de “crise de lecture”, quelle est la valeur ajoutée de cette manifestation ?
Khalid Lyamlahy : Le Festival “Littératures itinérantes” en est à sa 6e édition, preuve d’une continuité qu’il faut souligner. La notion même de “littératures itinérantes” et la programmation du festival dans une ville différente chaque année incarnent une quête de proximité avec le lectorat marocain. En donnant l’occasion de rencontrer et d’échanger avec des écrivains.e.s d’horizons différents, ce genre de manifestations ne peut que susciter l’envie de lire, de découvrir des expériences littéraires et des contenus culturels, de penser la place de la littérature dans le quotidien. La fameuse “crise de lecture” appelle à la conjugaison de tous les efforts, que ce soit au niveau de l’éducation ou de la dissémination de la culture. Ce genre de manifestations a pleinement vocation à enrichir ces efforts.
Cette édition est placée sous le thème “littérature et mémoires”, un thème qui vous est cher. La littérature peut-elle rendre visible ce qu’on invisibilise ?
La littérature entretient un rapport à la fois étroit et complexe avec la mémoire. On écrit aussi bien pour sonder le passé et tenter de saisir le présent que pour esquisser des orientations pour le futur. Il me semble qu’on écrit toujours dans un entre-deux, avec l’ambition de nommer nos blessures et nos combats, de mettre des mots sur nos histoires individuelles et collectives. Que peut la littérature aujourd’hui face aux images douloureuses qui nous parviennent de Gaza ou de Beyrouth et qui réveillent d’autres douleurs enfouies dans nos mémoires ? Voici une question qu’il faut penser avec lucidité et responsabilité.
Oui, on écrit aussi pour rendre visible, pour donner voix et apprendre à penser des questions ou des expériences souvent invisibilisées, marginalisées ou étouffées. Dans mon roman Évocation d’un mémorial à Venise (éd. Présence Africaine) par exemple, j’ai essayé justement de mettre en lumière le drame d’un réfugié gambien en interrogeant ce que peut la littérature en tant qu’exercice d’écoute, de solidarité et de dignité. Il s’agissait de faire un pas de côté, de prendre le temps, de penser nos échecs et nos responsabilités.
Le festival vise à profiter au plus grand nombre de lecteurs, notamment les enfants et les jeunes. Outre les salons et les festivals, comment promouvoir la lecture auprès des jeunes Marocains ?
Il me semble que le concours de nouvelles qui fait partie du festival répond précisément à ce besoin. Il est important d’encourager les vocations littéraires, de reconnaître les jeunes talents et de se donner les moyens de les accompagner. Je pense que la promotion de la lecture doit s’appuyer sur un travail fondamental à l’échelle de l’éducation : montrer les vertus quotidiennes et intellectuelles de la littérature, transmettre l’héritage de nos penseurs, écrivains et artistes, préserver notre mémoire culturelle à travers des démarches de sensibilisation et des projets interdisciplinaires.
La littérature est une école du regard et une invitation à la pensée critique. Promouvoir la lecture passera aussi par un renforcement de la chaîne culturelle et éditoriale. Nous avons besoin de revues, de plateformes culturelles et éducatives pour accompagner ces efforts.